Le Guide Bleu

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Le Guide Bleu

Histoire

LES GUIDES BLEUS [1]

Ce guide a été établi par Jean Modot

 

Direction

 

Gérald Gassiot-Talabot

 

Secrétariat de rédaction

 

Yvonne Vassart

 

Lecture-correction

 

Jean-Christophe Thomas

 

Cartographie René Pineau et Alain Mirande

 

Contrôle technique

 

Philippe Lepage

 

Couverture de Roman Cieslewicz

 

 

 

 

Les  guides bleus — hachette

79 boulevard saint-germain 75006 paris

 

 

 

 

©Librairie hachette. 1977

Tous droits de traduction de reproduction

et d’adaptation reservés pour tous pays


Préface

Près de vingt années séparent la publication du guide Algérie-Tunisie (1955) de l'édition du guide Algérie (1974) dans la nouvelle génération des Guides Bleus.

Il importait, en effet, avant d'effectuer une telle tâche, d'attendre que les événements douloureux qui ont marqué ces dernières années se soient, de part et d'autre, cicatrisés, que l'Algérie ait trouvé et affirmé, dans le monde arabe et parmi les puissances méditerranéennes, sa personnalité originale, et qu'un mouve­ment de tourisme, prolongeant celui de la coopération, y soit organisé et mené à bien. Le succès remporté par cette version du guide, consacré à l'Algérie contemporaine et indépendante, et la nécessité de tenir à jour la documentation nécessaire à tous les touristes, nous ont amené à procéder à une nouvelle édition très sensiblement complétée et scrupuleusement contrôlée. Nous signalons dans cet ouvrage les réalisations algériennes les plus actuelles, inscrites dans une conscience nationale très affirmée, alors même que le pays acquiert une position de premier plan. Dans les aperçus qui forment la première partie de ce guide, et qui ont été rédigés par les meilleurs spécialistes, comme dans le corps des descriptions, nous avons insisté sur les réalisations économiques, industrielles et sociales, qui font de l'Algérie l'un des États pilotes de l'Afrique. Les difficultés à surmonter sont certes encore nombreuses, et les Algériens sont les premiers à le reconnaître ; mais le lecteur sera sensible à notre souci de faire comprendre et découvrir ce pays, comme à notre volonté de traiter objectivement des épisodes relatifs à la présence fran­çaise pendant de nombreuses décennies. L'un des apports les plus notables de ce guide sera certainement l'importance que nous avons accordée à la partie saharienne, atout majeur de l'Algérie, tant sur le plan économique qu'en raison de l'attrac­tion qu'elle exerce sur une clientèle touristique de plus en plus nombreuse. Nous avons notamment insisté, dans le Grand Sud Algérien, sur ces zones, exceptionnelles par leur modelé phy­sique comme par leurs richesses d'art préhistorique, que sont le Hoggar et le Tassili. Malgré leur infrastructure touristique, qui, pour le moment, reste encore insuffisante, elles ont le privilège d'offrir au voyageur un mode « d'aventure » et des occasions d'exploration où les commodités du tourisme de classe interna­tionale sont généralement absentes.

La cartographie a été l'objet des soins les plus attentifs, et nous espérons que les croquis, détaillant les principales régions d'intérêt touristique, complèteront les cartes géographiques usuelles. Nous demandons, enfin, l'indulgence de nos lecteurs s'il leur arrivait de relever ici ou là certaines inexactitudes ; qu'ils soient conscients des problèmes que pose la mise à jour de l'information dans un pays où il est très difficile de contrôler une actualité en constante progression. Nous espérons surtout que ce guide sera un moyen d'approche, de communication et de compréhension, et qu'il vous permettra de mieux connaître un peuple dont vous saurez respecter les convictions, les habitudes de vie et apprécier la fierté, l'intelligence et, pour qui sait la mériter, l'hospitalité généreuse et spontanée.

­===========================================================================

Nous remercions tout particulièrement : La Compagnie Air France.

En France,

M. Mohamed Merzoug, directeur, et M. Atman Sahnoun, chargé des relations extérieures, ainsi que les services de l'O.N.A.T. à Paris.

En Algérie, Mlle Hafida Chaouch, directrice de la Promotion touristique à et M. Mechraoui, délégué régional, à Oran.

M. Houari Sayah, chargé des affaires internationales au Ministère de l'Information et de la Culture, ainsi que les divers responsables de ce ministère auprès desquels nous avons pu être recommandés.

La Direction générale de la Compagnie nationale Air Algérie, M. Djamel Tamzali, directeur commercial à la Sonatour, ainsi que toutes les personnes appartenant à cette société, à I'A.T.A. et à la Sonatherm, tant à Alger que dans l'ensemble de l'Algérie.

Nous remercions également : Mme Denise Basdevant, Mme Suzanne Ageron et M. Charles-Robert Ageron, M. Jean Déjeux qui ont bien voulu se charger respectivement des aperçus sur l'art, l'histoire et les lettres en Algérie.

Notre gratitude s'adresse enfin très spécialement à M. Marcel Girard, chargé de la coopération culturelle et technique française en Algérie, aux personnes qui nous ont communiqué remarques et vérifications, dont M. Paul Balta, correspondant du Monde à Alger, et, à titre person­nel et amical, à MM. Mohamed Belbachir et Noureddine Mankour, pour l'aide efficace qu'ils nous ont apportée.

 

Guide itinéraire


Plan du guide

Préface

5

Cartes et plans            Tableau d'assemblage et légende des cartes

8

Introduction à l'Algérie La personnalité algérienne, par Marcel Girar

9

Portrait géographique de l'Algérie    

13

L'Algérie dans l'Histoire, par S. et C.-R. Ageron    

16

Notes complémentaires sur la situation actuelle de l'économie,

26

L'art en Algérie, par Denise Basdevant

31

L'Islam           

35

L'Algérie littéraire, par Jean Déjeux

36

Que parle-t-on en Algérie?    

41

Indications bibliographiques, cartographiques et cinémato­graphiques       

48

Que voir en Algérie?

53

Votre voyage 

55

Guide itinéraire Villes, sites et monuments

 

78

Tableau des principales distances

Algérie centrale Alger — Le Sahel — La Mitidja — Le Titteri — Les Hauts Plateaux

2 - Le Sahel d'Alger

110

3 - La Mitidja et l'Atlas de Blida

120

4 - D'Alger à Bou Saada et Biskra

127

5 - D'Alger à Ghardaïa          

131

Algérie occidentale Ouarsenis — Dahra — Oran — Tlemcen — Monts des Ksour

 

138

6 - D'Alger à Tiaret

7 - D'Alger à Oran

141

8-Oran et ses environs           

150

9 - D'Oran à Ghardaïa           

160

10 - D'Oran à Béchar — Les Monts des Ksour

166

11 - D'Oran à Tlemcen

173

12 - Tlemcen et ses environs 

177

13 - De Tlemcen à Ghazaouet

187

14 - De Tlemcen à Aïn Sefra

191

Algérie orientale Kabylies — Constantine — Annaba — Aurès

 

192

15 - La Grande Kabylie

16 - Béjaïa et ses environs

206

17 - De Béjaïa à Jijel

211

18 - De Béjaia à Sétif, la Kabylie des Babors

213

 

19 - Sétif - Djemila - La Kalaa des Beni Hammad  

216

20 - D'Alger à Constantine   

225

21 - Constantine et ses environs       

227

22 - De Constantine à Jijel    

238

23 - De Constantine à Skikda           

241

24 - De Skikda à Jijel

244

25 - Se Skikda à Annaba

245

26 - De Constantine à Annaba

246

27 - Annaba et ses environs

250

28 - D'Annaba à El Kala

256

29 - D'Annaba à Tebessa et à El Oued         

258

30 - De Constantine à Batna et Biskra

265

31 - De Batna à Khenchela   

269

32 - L'Aurès   

278

Sahara 33 - Biskra et El Oued — Des Zibans au Souf

283

34 - De Biskra à Hassi Messaoud

290

35 - De Hassi Messaoud à Ghardaïa

296

36 - Ghardaïa et le M'Zab

300

37 - De Ghardaïa à Béchar

305

38 - De Béchar à Tindouf

310

39 - De Timimoun à Bordj Mokhtar 

313

40 - De Ghardaïa à Tamanrasset

314

41 - Le Hoggar et Tefedest   

318

42 - De Hassi Messaoud à Djanet

328

43 - Le plateau du Tassili      

335

44 Guide alphaétique

340

 


Introduction à l’Algérie

La personnalité algérienne

par Marcel Girard.

En 1962, quand l'Algérie devint un État indépendant, bien des gens s'interrogèrent : « Comment peut-on être Algérien ? ». Il n'était pas facile alors de se faire une idée précise de la per­sonnalité de ce peuple qui pour beaucoup, à l'intérieur de ses frontières actuelles, n'avait jamais eu droit de cité dans l'Histoire.

Les Algériens eux-mêmes cherchent passionnément à définir leur « identité ». S'agit-il pour eux simplement de retourner aux sources premières? de s'affirmer tels qu'ils étaient avant 1830? Ce désir se manifeste dans certains milieux, mais bien davantage la volonté d'apporter au monde contemporain des valeurs idéales et des tormes d'action qui constitueront pour l'avenir leur apport original dans le concert des nations. Ces aspirations ne sont pas toujours très claires; elles sont même parfois contradictoires, et l'équilibre obtenu dix ans après l'indépendance peut être encore quelque peu modifié. Déjà pourtant se dessinent des doctrines et des comportements, des choix positifs et négatifs, des options rationnelles et passion­nelles, qui permettent de dessiner à grands traits le nouveau visage de l'Algérie souveraine.

Le « fait algérien ». — Beaucoup le réduisaient naguère à l'ardeur du soleil. Les écrivains et les peintres européens qui ont visité l'Afrique du Nord n'ont le plus souvent été sensibles qu'à la chaleur et à la couleur. Loin de fermer les yeux devant les beautés de leur pays, les Algériens d'aujourd'hui, particuliè­rement les poètes, remettent en honneur cette communion profonde avec les éléments de la nature que les grands lyriques. d'expression arabe ont jadis chantés : la mer, la montagne et le désert. De vieux mythes resurgissent, car le soleil signifie aussi l'espoir, la liberté, le bonheur, le glaive de la justice, le signe brûlant de l'idéal. Cependant, comme l'exprime fortement Ahmed Taleb à propos d'Albert Camus, « il est évident que le soleil et la mer ne suffisent pas, à eux seuls, à constituer une patrie au sens où nous l'entendons ».

Il ne faut pas s'exagérer non plus le sentiment d'appartenir à l'Afrique. Qu'est-ce que l'Afrique, ou « les Afriques », comme on disait autrefois, sinon une notion imaginée arbitrairement au XVIe  siècle par des géographes obsédés par la délimitation des prétendus « continents ». En réalité, le Sahara constitua toujours une barrière plus réelle que la Méditerranée, aire de passage s'il en fut, et les anciens auteurs arabes étaient fondés à parler de « I'lle du Maghreb ». Le progrès des communica­tions et une certaine solidarité politique solennellement affirmée au sein de l'O.U.A. accroissent chaque jour les liaisons avec les peuples noirs, mais à l'image de leurs grandes villes les Algériens demeurent principalement tournés vers le monde méditerranéen.

Un type « Nord-Africain? ». — L'idée de race reste étrangère à la mentalité des hommes de ce pays. A aucun degré elle n'entre dans la définition de la nationalité algérienne. Comment pour­rait-il en être autrement ? Depuis la préhistoire, ces populations ont été constamment brassées sur leurs rivages comme les autres habitants du littoral. Parler d' « Arabes », comme fai­saient autrefois les Français d'Algérie, est une impropriété de langage; ou bien c'est confondre la race avec la langue, la religion, la civilisation. Tout au plus pourra-t-on observer, du point de vue ethnique, un fond « berbère », qui ne cor­respond d'ailleurs à aucune réalité raciale, si l'on désigne par là les plus vieux habitants connus de l'Afrique du Nord, descen­dants des Numides et autres Gétules de l'Antiquité. Il y eut ensuite tant d'apports au cours des siècles : Phéniciens et Carthaginois, Romains avec leurs légions cosmopolites, Vandales, Byzantins, ethnies arabes d'origine variée, Maures, Juifs, Turcs, esclaves noirs, Espagnols, Siciliens, Maltais, Français, qu'il est vain de rechercher une dominante dans cet alliage parfaitement réussi. Tous les types physiques coexistent, se fondent et se confondent : l'Algérien grand, mince et basané, le petit trapu et frisé, le blond ardent aux yeux bleus... Sans doute les popu­lations des montagnes (Kabylie, Aurès) et du Sahara sont-elles demeurées plus proches des anciennes tribus que celles des grandes régions de passage, mais non au point qu'on puisse nettement les différencier, encore moins les opposer. Le type « nord-africain » — fausse notion, à l'origine, hélas ! de bien des préjugés — n'est qu'une variante d'un type plus général commun à tous les « nobles riverains de la Méditerranée ».

Le mouvement arabo-islamique. — Cependant, de toutes les influences extérieures qui se sont exercées en ce lieu, c'est la composante arabe qui a le plus marqué et le plus duré. Là où les Romains avaient échoué à imposer leur civilisation, les Arabes ont réussi. Ceux-ci ne se sont pas contentés d'intro­duire, au Vile siècle et surtout aux XVIes, cent ou deux cent mille individus : de la même manière que Rome a donné à la Gaule sa langue et sa religion, ils ont imprimé définitivement sur l'Afrique du Nord la marque de l'Islam et de la langue arabe. Les Algériens participent donc à la mouvance arabo-islamique comme les Français participent au « génie latin ». Est-ce à dire que la latinité elle-même, qui a régné six ou sept cents ans en Afrique du Nord, n'a pas laissé de traces ailleurs que dans les ruines qui illustrent quelques sites admirables ? Les esprits aussi en ont été marqués. On observe que la raison et le goût de l'action occupent plus de place en Algérie que dans la plupart des pays d'Orient. Mais le peuple algérien ne reconnaît pas volontiers ces héritages. L'emprise de l'étranger, quel qu'il soit, ne s'est jamais opérée sans résistance. Et c'est bien là une des constantes de l'âme maghrébine : la lutte contre l'envahisseur. Les armées de Scipion et de Sylla l'éprouvèrent durement, tout comme les troupes françaises au cours des 132 années d'une « pacification » jamais achevée. « Ils auront beau nous mâcher et nous remâcher, écrivait Assia Djebar, ils ne nous avaleront pas ». Cette fière affirmation, toutes les générations de Maghrébins depuis les commencements de l'Histoire eussent pu la prendre à leur compte. Que ce soit sous la forme de luttes sociales, comme les révoltes paysannes de 1871, ou sous celle de schismes et d'hérésies de caractères religieux, comme le donatisme chrétien ou le kharédjisme musulman, — les deux aspects étant souvent liés, — le peuple de ce pays ne s'est jamais « aligné ».

Dans ce mouvement de « balancement entre une dépendance continuée et une affirmation de l'indépendance d'autant plus exaspérée qu'elle se révèle plus difficile » (A. Memmi), le balancier s'est donc finalement stabilisé du côté arabo-islamique. Avant la conquête française, le Maghreb central vivait essentiellement sur l'acquis philosophique, scientifique, artistique d'une civili­sation, qui avait jeté ses plus beaux feux pendant les siècles abusivement dits « obscurs », dans le rayonnement de Bagdad et de l'Andalousie. Ses grands hommes ne se sont pas contentés de transmettre la science et la philosophie grecque, comme on l'a prétendu, ils ont innové, ils ont contribué au progrès des idées et des techniques, et tout l'Occident en a largement profité. Pourquoi la veine s'est-elle épuisée après le XVe siècle ? Incriminera-t-on les conquêtes turques? N'est-ce pas plutôt que les ressources économiques du bassin méditerranéen ne pouvaient plus rivaliser avec la production des grandes plaines à blé et des bassins houillers de l'Europe continentale ? ou bien le décalage ne provient-il pas de l'accélération de l'Europe, qui s'est elle-même littéralement envolée à partir de la Renais­sance, à tel point qu'en comparaison le reste du monde semble être demeuré immobile ? A certains points de vue, la société maghrébine traditionnelle se portait encore fort bien à l'aube du XIXe siècle. L'exemple de l'Emir Abd-el-Kader, brillant lettré, capable d'une grande élévation de pensée, témoigne de la vitalité d'une culture qui n'était pas aussi déchue qu'on l'a dit.

Une langue : l'arabe. — L'empreinte des Arabes s'est d'abord exercée profondément sur la langue, repoussant dans les montagnes ou dans les sables les parlers berbères. Ceux-ci, n'étant guère fixés par l'écriture, sont maintenant affectés par la généralisation de l'enseignement. Le trilinguisme, qui jusqu'à une date récente était largement pratiqué en Kabylie, fait place peu à peu à une nette domination de la langue arabe. L'élément politique n'explique pas tout : à l'origine, il devait exister des affinités préalables entre les Berbères et les Arabes, un fonds commun de parenté. La langue berbère, pour différente qu'elle soit de l'arabe, n'en appartient pas moins au même groupe chamito-sémitique, et le passage de l'une à l'autre a pu se faire sans trop de difficultés. C'est ainsi qu'en Gaule le latin a remplacé d'autant plus aisément les parlers celtiques que ceux-ci présentaient déjà les structures dé l'indo-européen... Certes, comme il est arrivé au latin, l'arabe classique a subi lui-même de grandes altérations au contact des populations étrangères, et le dialecte maghrébin n'est guère compris à Damas ou au Caire. Mais maintenant l'accent est mis à l'école sur l'arabe classique, ou du moins sur un « arabe moyen », celui de la presse et de la radio. Si cette opération réussit, l'unité linguistique de l'Algérie sera réalisée rapidement; et bientôt l'unité linguis­tique de toute la « nation arabe » de l'Euphrate à l'Atlantique.

Livre saint et code juridique : le Coran. — Plus encore que la langue, la religion en est le ciment. Là encore l'Islam a enregistré des variations, telles que le maraboutisme, qui relève certainement de pratiques magiques très anciennes, sinon du culte des saints aux premiers temps de l'Église. Car ces peuples furent longtemps christianisés, mais l'Islam recouvrit et souvent absorba les croyances chrétiennes. Il faut d'ailleurs se garder d'imputer systématiquement à la religion musulmane certains comportements liés aujourd'hui à la personnalité algérienne, et qui sont en fait le fruit d'autres traditions. Le port du voile chez les femmes, la circoncision chez les hommes, le tabou de la virginité, le sentiment de l'honneur familial, les privilèges honorifiques dus à l'âge, le jeûne annuel, certains interdits alimentaires comme celui du porc, etc... sont des phéno­mènes antérieurs au Coran ; ils se retrouvent, ou se retrouvaient il y a peu, dans bien des collectivités juives ou chrétiennes de l'Orient et de l'Europe méridionale.

 Ce qui paraît vraiment inhé­rent à la mentalité musulmane, c'est l'accent mis sur les valeurs spirituelles. Et cela non seulement en théorie, mais dans l'existence de chacun. En dehors de quelques cas d'agnosticisme dans certains milieux très européanisés, on vit sincèrement et pro­fondément sa religion. Pour défendre leurs convictions morales, les Algériens sont capables de compromettre des avantages matériels immédiats. L'intérêt n'est pas le principal moteur de ce peuple ; les hommes d'affaires étrangers, tout comme les hommes politiques, l'apprennent parfois à leurs dépens. De l'Islam résulte également une conception particulière du droit : sa source première étant la révélation divine, le Coran contient, explicitement ou non, les lois applicables à tous les cas concrets.

Le droit européen, avec ses codes et ses lois, est loin d'avoir recouvert complètement l'ancienne conception métaphysique de la Justice.

Au rythme solaire. — Aussi bien les représentations de base de l'homme algérien sont-elles toujours largement déterminées par les concepts islamo-arabes. Nous ne parlons pas de cette frange très évoluée de la population, — intellectuels, adminis­trateurs, techniciens — qui se comporte de la même manière qu'en Europe ou ailleurs. C'est dans le peuple qu'on constate des différences. Différences de culture, certes, et non point de nature, car l'Algérien peut et sait s'adapter, quand il le faut, à toutes les manières de penser et de sentir : on le voit dans l'émigration. Dans leur milieu, la grande majorité des hommes et des femmes de ce pays ont des attitudes qui surprennent toujours les étrangers. La notion de temps, par exemple, là où la vie moderne n'impose pas des horaires rigoureux, est beaucoup plus qualitative que quantitative. Le tissu même de la durée, son épaisseur, sa densité, comptent beaucoup plus que son écoulement mesurer. C'est à la campagne qu'on retrouvera le plus naturellement, cette tendance atavique à s'abandonner à l'ordre divin. Mieux que les horloges, les rythmes du soleil et des saisons sont propres à créer les cadres de la vie profonde : méditation, prière, pratiques religieuses, de même qu'ils règlent les travaux des champs. On ne s'étonnera donc pas de rencontrer beaucoup d'Algériens qui ne se soucient guère de l'heure ; il en est même quelques-uns qui ne savent pas lire une montre. Mais ils savent lire dans le ciel et règlent leurs occupations sur le mouvement des astres.

L'attitude à l'égard du travail n'est pas identique à celle des sociétés industrialisées depuis longtemps. Là l'efficacité prime tout. L'usine, le chantier ou le bureau imposent à chacun un certain nombre d'heures pénibles, ressenties comme une servi­tude nécessaire. Aussi la distinction est-elle nettement établie entre la tranche de vie consacrée aux loisirs ou à la famille, et celle qui est imposée par la profession. Chez les Algériens, il n'existe pas toujours de coupure aussi nette. Pour les paysans et les artisans de ce pays, qui forment les trois-quarts de la population, le travail peut s'intégrer à toutes les heures du jour, avec des moments forts et d'autres de moindre concentration, chacun cherchant à user au maximum de sa liberté. On comprend mieux les difficultés de l'industrialisation quand on sait que les ouvriers d'usine sont pour la plupart d'anciens fellahs. L'éducation corrige peu à peu ces mentalités, mais la nature refuse énergique­ment de se laisser aliéner. Pour les femmes mariées, la question du travail rétribué est également liée aux conceptions religieuses et morales, même si elle n'est pas toujours ressentie comme telle. C'est une tradition millénaire qui leur assigne de se vouer avant tout à la maternité et à leur foyer. Certes, le travail féminin fait des progrès constants dans les bureaux et dans les usines, mais la condition d'ouvrière ou d'employée, sauf dans les milieux très particuliers, reste exceptionnelle.

Un système de valeurs. — Le comportement du peuple algérien dans les affaires d'argent résulte d'un compromis entre les réalités du monde moderne et une répugnance ancestrale pour le négoce. Dans le Maghreb d'autrefois, ce n'étaient pas les Musulmans qui s'occupaient de ces choses. Les commerçants se recrutaient de préférence au sein de certaines minorités. D'une manière générale, on aime dépenser et l'appétit de consommer se fait chaque jour plus exigeant, mais on se préoccupe assez peu de faire fructifier son bien. Ce sont des éléments de cette sorte qui distinguent l'Algérie de l'Europe capitaliste et bourgeoise. Bien qu'ils aient été en contact pendant près d'un siècle et demi avec la société française, les Algériens ne se sont pas dépersonnalisés. Tout au plus, y-a-t-il eu une « mise en hibernation ». Aujourd'hui l'indépendance, en même temps qu'elle a créé les conditions d'un nouveau départ, leur redonne confiance en leur propre système de valeurs.

Est-ce à dire que l'homme maghrébin a retrouvé intactes les structures mentales qui étaient les siennes au début du XIXe siècle ? Faut-il l'englober dans la définition générale de l'Arabe, qui, selon Jacques Berque, se caractérise par « le primat, tantôt fécond, tantôt stérile, du sentiment sur les faits, du signe sur la chose? ».

Cette observation, peut-être vraie pour le Machrek, appelle ici une question : dans quelle mesure l'Algérien participe­t-il de cette manière de sentir et de penser qu'on appelle

«Arabisme »?

Rêve et réalité. — Habitué aux larges horizons, dans ces steppes et dans ces déserts où « il n'existe rien, selon Hegel, qui puisse recevoir une forme », l'Arabe est souvent considéré comme doué d'une propension au rêve. Tournant souvent le dos à la réalité positive, il serait disponible pour toutes les tenta­tions de l'imaginaire. L'esprit cartésien, réduit à sa caricature, passe ainsi pour être l'antithèse de l'esprit qui souffle sur ces contrées, chargé de sentiments, de symboles, de lyrisme. A la fin du XXe s, cette analyse appelle des nuances. Encore faut-il distinguer entre les régions, entre les classes sociales, et même entre les heures de la journée, où alternent parfois les calculs froids de l'intellect avec les flambées de passion et d'imagination. Les entorses apparentes à la logique que l'on constate ici et là ne procèdent pas forcément des failles de la mécanique intel­lectuelle.

La nécessité est souvent plus forte que la déduction. Ici, elle s'appelle la faim, et cela peut légitimer certaines contra­dictions. Si de nos jours le minimum vital est à peu près garanti à chacun, la menace d'une certaine disette pèse encore sur les habitants des campagnes et des faubourgs. Les économistes des pays développés ont beau jeu de dénoncer certaines inconséquences. Est-il raisonnable d'embaucher dans des usines automatisées plus de main-d’œuvre que l'industrie moderne n'en a strictement besoin ? Les responsables algériens n'ignorent pas les lois féroces de la rentabilité, mais ils savent aussi que trois hommes sur quatre n'ont pas de travail, et qu'il faut créer le maximum d'emplois pour assurer à chacun sa subsistance et sa dignité. Ces raisons essentielles qui découlent de la nature des choses font craquer les schémas rationalistes.

L'intelligence algérienne. — Sur un fond de sentiments et de rémanences souvent très anciennes se dessine un des aspects les plus positifs du caractère algérien : le goût et le don de l'activité intellectuelle. La plupart des peuples médi­terranéens ont fait leurs preuves dans ce domaine, mais de nos jours l'Algérie nous paraît particulièrement riche en cerveaux remarquables. C'est ce qui explique que la « relève » ait pu se faire, somme toute, si aisément après le départ des Français. Les cadres sont encore trop peu nombreux, mais ceux qui existent, savent dialoguer d'égal à égal avec les plus habiles négociateurs européens et américains. L'intelligence n'a jamais fait défaut dans la patrie de Saint Augustin et d'Ibn Khaldoun, ni la puis­sance dialectique, ni les facultés tout à la fois d'observation et d'abstraction. Léon l'Africain notait au XVIe siècle que les Maghrébins sont « gens qui se délectent grandement de savoir ». Abd-el-Kader proclamait lui-même que « le sabre est au-dessous de la plume ». La principale matière première de ce pays, en définitive c'est sa matière grise. C'est sur elle surtout, plus que sur leur pétrole, que les Algériens comptent pour bâtir leur avenir.

L'avenir. — Dans la définition de l'identité algérienne, l'élan, comme on l'a dit, compte sans doute davantage que le bilan. L'objectif qu'Ahmed Taleb assigne à sa nation : « Être soi-même », signifie davantage : « Devenir soi-même », que se complaire à soi-même. Et s'il insiste, comme il le fait, sur le passé, c'est que « l'édification de l'avenir passe par la remise à jour de ce passé ». Remise à jour ne veut pas dire asservissement, mais approfon­dissement des valeurs en vue de leur adaptation au monde moderne. La célèbre devise du Cheikh Ben Badis « L'Algérie est notre patrie, l'Islam est notre religion et l'arabe est notre langue », qui remonte bien avant l'indépendance, traduisait surtout la volonté de s'opposer à la francisation. Aujourd'hui, ce programme reste, certes, à l'ordre du jour, mais d'autres perspectives sont apparues. L'accent est mis aussi sur le déve­loppement, sur l'ouverture vers le Maghreb et vers l'Afrique, sur le nécessaire dialogue avec l'Europe, sur l'évolution des habitudes de travail sur le progrès des idées et des mœurs. Quant à la langue, le maintien du français est encore (mais peut-être provisoirement) jugé nécessaire à l'acquisition et au développement des sciences et des techniques, comme au contact avec l'étranger. Tous ces éléments ne sont pas encore nettement définis, ni parfaitement en place. Il y faudra du temps, mais à force de travail, de volonté, de lucidité, un nouveau type d'homme devrait bientôt s'épanouir et prospérer sur le vieux tronc de la nation.

La ville de Constantine remonte aux commencements de l'Histoire. Cramponnée à son rocher, l'antique Cirta a vu passer des envahis­seurs innombrables. Elle les a tantôt repoussés, tantôt absorbés, rien n'est venu changer fondamentalement la nature de ces hommes rudes, de ces femmes secrètes derrière leur voile noir. Un jour sans doute le voile tombera, le bien-être adoucira les mœurs, la ville épousera son siècle. Déjà une très grande usine y fabrique les moteurs et les tracteurs dont le pays a besoin, et une certaine mentalité industrielle commence à se faire jour.

 Déjà une magnifique Université de type moderne est sortie du sol, et demain 20 000 étudiants chaque année déboucheront tout armés dans un XXIe siècle où le Maghreb aura son rôle à jouer. En même temps s'édifie, face à l'Université, la Mosquée qui sera la plus grande et la plus haute de toute l'Afrique... Là où certains croient déceler une contradiction de l'âme algérienne, d'autres voient ou espèrent une véritable harmonie dans ce double mouvement d'ouverture vers l'avenir et de fidélité à soi-même.

Le voyageur étranger, et tout particulièrement le Français qui, pour le meilleur et pour le pire, s'est tellement attaché à cette terre, ne se contentera pas de contempler les paysages et de visiter les monuments décrits dans ce guide. Respectueux de l'originalité de chacun, attentif également à tout ce qui peut unir et réconcilier les hommes, il emploiera sa raison et son coeur à pénétrer la conscience profonde de ce

 



[1] Collection : Hachette - Guides Bleus

C’est la collection la plus complète en matière de guides culturels. Les textes sont détaillés et agrémentés de petites photos en couleurs

 

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