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Alain Mahé
Histoire
de
la Grande Kabylie
XIXe-XXe
					siècles
anthropologie historique
					du lien social
					dans les communautés villageoises
Pour leurs œuvres
					littéraires et leur intégrité morale, je dédie ce travail à Belaid Ait Ali, mort de misère en 1950,
					Mouloud Feraoun, assassiné par l'OAS en 1962
					Sliman Azent, mort exilé en France en 1983, Tahar Djaout, assassiné en 1993.
Remerciements
Ce livre est en grande partie
					tiré d'une thèse de doctorat soutenue à l'École des Hautes Études
					en Sciences Sociales en 1994. Ce travail a été réalisé grâce à une allocation
					du ministère de la Recherche et de la Technologie. J'ai bénéficié ensuite d'une
					aide à l'écriture du Centre National des Lettres sans laquelle je n'aurais pas
					pu donner cette forme finale à mon ouvrage et y intégrer les développements
					intervenus en Kabylie depuis ma soutenance de thèse.
Je tiens particulièrement à
					remercier mes interlocuteurs et mes amis kabyles. Sans eux et sans leur
					confiance, je n'aurais jamais pu avoir accès aux affaires internes des
					villages. Ma dette est donc grande à l'égard de tous ceux qui m'ont assuré une
					introduction bienveillante dans leurs villages, qui m'ont laissé consulter les
					registres de leurs assemblées ou qui m'ont relaté par le menu les affaires les
					concernant. Comme je ne saurais les remercier nommément sans contrevenir à
					l'anonymat que la plupart d'entre eux ont requis pour me laisser accéder à
					l'intimité de leurs villages, j'ose espérer que l'ouvrage que je livre
					aujourd'hui au public justifiera le temps et la confiance qu'ils m'ont
					accordés.
Enfin, je tiens à témoigner
					toute ma gratitude à Monique Lherm pour sa relecture pointilleuse de l'ouvrage.
Introduction
La critique
					des sciences sociales de la période coloniale, menée depuis les indépendances maghrébines
					comme une véritable décolonisation de l'Histoire, a rarement été le travail
					épistémologique qu'elle prétendait être, et elle est très loin d'avoir
					accompli, au Maghreb, «la révolution copernicienne» qu'elle annonçait. Si le
					champ des questions et des recherches a été profondément réorienté, le cadre
					théorique et l'appareil conceptuel sont globalement restés les mêmes. Ainsi,
					par exemple, que cela soit pour établir la pérennité d'ensembles nationaux à
					travers l'histoire et souligner la permanence de constructions étatiques, ou, à
					l'inverse, pour montrer que le Maghreb était inapte à l'idée nationale et
					toujours en mal de puissance tutélaire, dans les recherches, les traditions
					politiques non étatiques furent éludées et le point de vue qui identifie les
					concepts de pouvoir, de système politique et d'État fut reconduit.
					Pourtant, il existe encore, en Algérie notamment, des institutions qui auraient
					été susceptibles de constituer des points d'ancrage à la construction du
					système démocratique, autogestionnaire et socialiste que les leaders
					nationalistes projetaient pour leur pays. C'est de ces institutions politiques
					locales fonctionnant de façon autonome à l'échelle des communautés dont il sera
					question dans ce livre. Ces organisations communautaires désignées, à l'échelle
					du Maghreb, sous le terme générique d'assemblée (djemâ'a) ne constituent
					qu'exceptionnellement des objets d'études spécialisées, bien que de nombreux
					travaux d'histoire, de géographie, de sociologie ou d'ethnologie les évoquent.
					Présentées dans des chapitres introductifs conventionnels, elles apparaissent
					comme des vestiges du passé, de simples survivances d'un autre âge se
					reproduisant par une inertie mystérieuse. Même lorsque les organisations
					politiques traditionnelles se sont mobilisées vigoureusement dans le cadre de
					mouvements d'opposition à l'État post-colonial, elles ne sont décrites
					que comme des fantômes d'organisations défuntes dont la réactivation serait
					uniquement due à l'absence de moyens d'expression politique alternatifs. En
					fait, par-delà les enjeux politiques et symboliques qui ont prévalu au moment
					de l'indépendance de l'Algérie, dans la célébration des traditions nationales
					et étatiques, d'autres facteurs ont contribué à occulter les traditions
					politiques locales ancestrales, notamment en empêchant les acteurs de ces
					institutions d'en témoigner. En effet, les institutions traditionnelles
					cumulaient les condamnations. D'abord, le verdict du tribunal de l'histoire les
					condamnait pour leur coexistence avecl'administration étrangère sous le régime
					colonial. Au demeurant, le fait qu'elles n'aient pas été capables de renverser
					l'ordre colonial ou de mener un combat ouvert contre lui suffisait, au moins
					politiquement, à les disqualifier aux yeux de ceux qui poursuivaient un combat
					politique moderne. Par surcroît, ces derniers ne manquèrent pas d'invoquer les
					compromissions que les représentants traditionnels avaient passées avec
					l'administration coloniale. De sorte que le népotisme et les exactions
					proverbiales des caïds et autres chaouchs rejaillissaient sur l'ensemble des
					institutions traditionnelles du pays et que l'on considérait ces dernières
					comme de «simples survivances» qui avaient été conservées artificiellement
					afin de fournir de dociles relais politiques à l'administration coloniale.
					Enfin, durant la période coloniale, des mesures d'exception en matière
					d'administration locale, notamment en Kabylie, eurent des effets pervers. Car
					si certaines d'entre elles contribuèrent à pérenniser les institutions traditionnelles,
					dans le même temps, ces politiques administratives contribuèrent, plusieurs
					décennies plus tard, à inhiber les villageois pour témoigner de leurs
					institutions traditionnelles et à les dissuader de revendiquer pour elles une
					place dans une Algérie indépendante. Les djemâ'as ont toujours eu à renégocier
					et à redéfinir leurs attributions propres. Historiquement et spatialement, la
					situation du rapport des forces entre les djemâ'as et l'État ottoman
					était des plus dénivelées et variait en fonction de nombreux critères. Mais la
					disparité des situations locales observables de nos jours ne renvoie pas
					simplement à des différences de rythme de pénétration de l'État. En
					outre, la plus ou moins grande rapidité des transformations induites par
					l'intrusion de l'État ne dépend pas seulement de la capacité ou des
					ambitions des structures étatiques à se substituer aux instances politiques
					locales. Avant même l'intervention d'un pouvoir extérieur de type étatique –
					qui remonte de un à plusieurs siècles selon les régions – les sociétés
					maghrébines présentaient déjà, du point de vue de leurs organisations
					politiques locales, une grande variété de situations, que le nom qui sert à les
					désigner – djemâ'a, berbérisé en tajmat – masque complètement. Mentionnons les
					deux cas extrêmes que constituent la djemâ'a de la petite unité de nomadisation
					saharienne et la djemâ'a des gros villages de Kabylie qui pouvait regrouper
					plus de trois mille habitants à l'époque de la conquête coloniale. Ici, une
					institution des plus sommaires, presque évanescente, et qui se résout à une
					assemblée informelle de chefs de famille sous la férule d'un patriarche ; là,
					un aréopage composite de représentants de lignages, de marabouts, de
					conseillers et de notables délibérant solennellement selon des procédures
					complexes et rigides. Dans les régions rurales où les djemâ'as se sont
					pérennisées, on doit donc se garder de rapporter uniquement leurs différences
					de statut, de vitalité, de prérogatives, de mécanismes de fonctionnement et de
					composition à l'impact différentiel qu'ont pu avoir, sur ces institutions, les
					divers États qui se sont succédé au Maghreb. Pour ce qui concerne
					l'Algérie, il ressort des travaux consacrés à la période coloniale que le
					système mis en place par la France aurait totalement éradiqué les organisations
					politiques traditionnelles en leur substituant ses propres rouages
					administratifs. Ainsi, en dehors même de la colonisation rurale proprement dite
					et de la répression impitoyable des révoltes tribales qui ont profondément
					corrodé les communautés locales, les auteurs insistent sur le caractère
					systématique et constant de la politique de destruction de la société
					algérienne 1. C'est dans cette
					perspective que les spécialistes abordent les multiples politiques foncières et
					administratives — sénatus consulte de 1863, loi Warnier, code forestier, etc.
					Il s'agit évidemment pour nous non pas de nier les destructions qu'induisirent
					ces mesures sur la société algérienne, mais de relativiser les objectifs visés
					et les effets obtenus. Aussi une partie importante de ce travail sera-t-elle
					consacrée à l'analyse des politiques d'administration locale dont l'étude a été
					passablement négligée au profit de l'examen des politiques suivies à l'échelle
					de l'Algérie tout entière. Ce qui nous permettra de montrer qu'au-delà du
					danger que représentait, pour l'État colonial, l'existence
					d'institutions politiques traditionnelles — notamment du fait de la vocation de
					ces dernières à encadrer et à impulser la résistance à la colonisation — un
					danger beaucoup plus grand encore résidait dans la disparition complète de ces
					organisations sociales et politiques. La situation d'anomie qui en aurait
					resulté, les risques de débordements incontrôlables et les pathologies sociales
					que cela aurait comporté ; tout cela était bien plus redoutable. Il s'agit, en
					effet, de comprendre que, au-delà des objectifs proclamés d'assimilation totale
					de la société algérienne à la France, l'État colonial n'a jamais eu les
					moyens — et n'a jamais réellement essayé de se les donner — de se substituer à
					toutes les instances de régulation sociale traditionnelles. Si la
					déstructuration complète de la société algérienne a pu être un fantasme pour
					certains hommes politiques, elle a surtout été, pour la majorité des administrateurs
					coloniaux, une véritable crainte. Toutefois, les sociétés rurales algériennes
					non seulement n'avaient pas les mêmes moyens pour amortir les effets
					déstructurants de l'impact colonial — en raison de la différence de vitalité
					économique et de cohésion / densité sociale qu'elles connaissaient — mais
					l'emprise de la colonisation rurale était extrêmement variable. De même que
					l'était la nature des politiques d'administration locale qui furent
					pour-suivies. Les régions à forte potentialité agricole — comme les plaines
					oranaises — ont subi le plus fortement l'ordre colonial à cause de la
					dépossession foncière dont elles furent victimes et de l'imposition d'un
					système administratif de type français entraînée par l'existence d'un
					important peuplement européen (les communes de plein exercice). Inversement, de
					vastes étendues du Constantinois et de la Kabylie, sans parler du sud du pays,
					qui ne présentaient pas d'intérêts pour la colonisation rurale, ont été
					relativement peu touchées et ont pu être administrées selon des modalités (les
					communes mixtes) qui ménageaient largement les institutions traditionnelles.
					L'objectif de ce livre est d'apprécier la qualité et l'évolution du lien social
					dans les communautés villageoises qui constituent le cadre de vie des Kabyles.
					Pour cela, nous procéderons en deux temps. Dans la première partie, nous
					reconstituerons une sorte d'épure de l'organisation villageoise dans la
					situation où elle se trouvait au début de la conquête coloniale, afin, dans la
					seconde partie, de dérouler le fil de l'histoire jusqu'à nos jours et
					d'apprécier les changements sociaux. L'épure de l'organisation villageoise que
					nous reconstituons dans la première partie nous permettra d'isoler quatre
					niveaux dans l'ensemble formant le système social villageois : celui lié au
					sens de l'honneur du système vindicatoire dans lequel s'affrontent les groupes
					lignagers ; celui lié à l'«esprit municipal» et au «civisme» promus par les
					assemblées villageoises ; - celui lié à l'identité musulmane, qui se laisse
					repérer à presque tous les niveaux de la vie sociale ; - celui qui procède d'un
					magico-religieux plongeant ses racines aux époques anté-islamiques. Ce registre
					de sacré se donne à voir surtout dans le cadre des travaux agricoles ou dans
					celui des rituels domestiques, mais aussi dans tout ce qui concerne les
					procédures judiciaires (établissement de la preuve, prestation de serment,
					témoignage, etc.). Nous nous sommes heurté, dans cet essai de modélisation, à
					plusieurs obstacles pour isoler chacun de ces niveaux : la très faible
					objectivation de ces quatre niveaux dans la réalité, la quasi-absence de
					critère ou de principe hiérarchique susceptible de les ordonner les uns par
					rapport aux autres de façon suffisamment univoque, et le fait que l'assemblée
					villageoise, qui est l'un des principaux rouages sociaux du système, est
					susceptible de cautionner et de sanctionner des comportements en s'inspirant
					simultanément et / ou successivement des quatre niveaux de valeurs que nous
					venons de présenter. Ainsi l'assemblée peut, soit mettre en demeure des
					particuliers de régler leurs affaires dans le cadre du système vindicatoire,
					soit s'autoriser des valeurs islamiques pour arbitrer des conflits, soit
					subordonner son jugement à des pratiques de type ordalie, soit, enfin, imposer
					l'intérêt supérieur de l'ordre moral spécifique du village et, ce faisant,
					battre en brèche aussi bien la logique islamique que la logique vindicatoire du
					système lignager ou le sacré magico-religieux. 
1. Ainsi des nombreux travaux consacrés à la politique
					foncière et à l'arsenal juridique colonial. Nous nous référerons à ces travaux
					tout au cours de ce livre.
La très
					faible objectivation des systèmes sociaux et symboliques kabyles s'observe
					d'abord en matière d'organisations sociales et politiques : l'absence de
					critère formel et rigide définissant les rôles des acteurs dans les
					organisations ; l'absence de système de reproduction et de titre sanctionnant
					les positions sociales de façon durable et impersonnelle. Les qanun kabyles
					(«codifications» des assemblées villageoises), qui constituent pourtant l'une
					des expressions les plus objectivées ou les plus objectivables, illustrent
					pourtant parfaitement le problème du manque global d'objectivation des quatre
					niveaux du système dans la réalité. Les qanun ont tantôt un mode d'existence
					implicite de schème pratique — cette grammaire invisible reconstruite par
					Bourdieu - tantôt un mode d'existence explicite, certaines dispositions des
					qanun sont édictées solennellement et sont alors confiées à la mémoire des
					notables du groupe, ou, de façon encore plus objective, elles sont codifiées
					par écrit. Or, même dans ces deux dernières situations, nous verrons que dans
					chaque disposition du qanun, en dehors de quelques rares cas — notamment
					lorsque les qanun garantissent la herma spécifique du village (c'est-à-dire
					l'intégrité physique et morale du village) ou, à l'inverse, lorsqu'ils sont
					complètement muets sur certaines matières comme les cas d'homicide légitime au
					sens du code de l'honneur —, l'acte sanctionné peut participer à la fois de l'entorse
					au civisme attendu des villageois, du défi au code de l'honneur gentilice, ou
					de la transgression religieuse ou magico-religieuse. Dans le règlement de
					chaque affaire, ce sont essentiellement les procédures judiciaires,
					c'est-à-dire, les diverses modalités d'intervention de la tajmat, qui nous
					permettront d'isoler le niveau du système qui est le plus ébranlé par le délit
					et, par là, de vérifier la validité de notre typologie en quatre niveaux. Il ne
					faut pas perdre de vue que le caractère systématique et la cohérence intrinsèque
					de chaque niveau présenté isolément sont produits par notre analyse et que,
					dans la réalité, l'ensemble est intégré dans le même système. Pour autant, bien
					que nous dénoncions ce qui nous paraît erroné dans les démarches assimilant la
					confrontation entre deux horizons de valeurs (la «kabylité» et l'islam) à une
					lutte ouverte entre deux groupes sociaux distincts (les imusnawen et les
					marabouts), l'élucidation du système juridique et de ses procédures nous a
					semblé être un domaine privilégié pour apprécier les points de tension et
					d'articulation des différents niveaux que notre analyse a dégagés. Bien
					davantage, il nous a semblé que ce domaine était le seul où se donnent à voir
					des rites et des représentations qui objectivent de façon quasi systématique
					dans la réalité l'existence des niveaux dont nous parlons. Dans la seconde
					partie de ce travail, nous nous emploierons à analyser comment chacun des
					quatre niveaux construits dans notre épure de l'organisation villageoise a été
					affecté de façon spécifique par les multiples bouleversements induits par la
					colonisation française et par ceux provoqués depuis l'avènement de
					l'État algérien indépendant.
1
Géographie
					de la Grande Kabylie
1. Géographie physique
Les frontières de la Grande Kabylie
Haute,
					Basse, Grande, Petite, ces découpages de la Kabylie utilisés dans les travaux
					spécialisés consacrés à ces différentes régions ne correspondent guère à des
					caractéristiques objectives. En outre, localement et selon l'usage qu'en fait
					le sens commun, ces divisions correspondent à des frontières extrêmement
					fluctuantes. Si tous les chercheurs s'accordent pour reconnaître que l'oued
					Sahel/Soummam1 sépare la
					Grande Kabylie de la Petite Kabylie, la plus grande confusion règne au sujet
					des limites de la Haute Kabylie et de la Basse Kabylie. En dehors, peut-être,
					d'une vague cohérence topographique d'ensemble, qui n'offre que très peu de
					prise à l'analyse, les chercheurs ont pris l'habitude de distinguer la Grande
					Kabylie de la Petite Kabylie en se référant, pour l'essentiel, aux découpages
					administratifs, qui, depuis l'époque ottomane, ont rattaché les régions de la
					rive gauche de la Soummam à l'Algérois et celles de la rive droite au
					Constantinois. Les diverses options d'administration locale choisies dans ces
					régions, malgré le peu d'impact qu'elles purent avoir sur les institutions
					locales vernaculaires, en dehors de la dimension politique et judiciaire, ont
					sans doute induit des effets spécifiques et contribué ainsi à singulariser
					davantage la Grande Kabylie et la Petite Kabylie. Pourtant, le découpage en
					Grande Kabylie et en Petite Kabylie par les Kabyles eux-mêmes ne rejoint pas la
					frontière administrative qui suit le cours de l'oued Sahel/Soummam. Ainsi,
					l'arrière-pays de Béjaïa comme le versant nord du Djurdjura sont exclus de la
					Grande Kabylie pour être rattachés, respectivement à la Petite Kabylie et à la
					Basse Kabylie. Si ce découpage est peu pertinent du point de vue
					anthropologique, des sous-ensembles possédant chacun une identité bien marquée
					se dégagent d'une investigation plus systématique. Ces sous-ensembles recoupent
					non pas les divisions administratives et géographiques de Grande, Petite, Basse
					et Haute Kabylie, mais de vastes unités topographiques (exemple, le Massif
					central kabyle, le Djurdjura, les Bibans et les Babors), ou se distribuent de
					façon discontinue, comme des îlots émergeant de-ci de-là (ainsi, par exemple,
					de l'ensemble formé par la grande tribu des Beni Abbès). Pourquoi alors avoir
					choisi de délimiter notre objet d'étude en partant d'un découpage dont nous
					venons de souligner, sinon l'arbitraire, du moins le peu de pertinence ?
					D'abord, parce qu'il aurait été présomptueux de prétendre rendre compte de la
					situation de l'ensemble de la Kabylie, autant en raison de la démesure du
					projet que du fait de la disparité des sources selon les régions : très riches
					pour le Massif central et le Djurdjura, peu nombreuses pour le littoral kabyle,
					et extrêmement partielles pour toute la Petite Kabylie au-delà des tribus
					rive-raines de l'oued Sahel / Soummam. De plus, la région appelée Grande
					Kabylie (avec le flou que l'on a souligné) présente presque toute la gamme des
					sous-ensembles constatés à l'échelle de l'ensemble de la Kabylie. Elle permet
					donc d'étayer des comparaisons d'une grande importance pour l'analyse de
					l'évolution de la situation des unités politiques locales et du système
					juridicopolitique qui représentent la partie centrale de cette recherche.
Des contours fermement dessinés
L'oued
					Sahel / Soummam, constituant, du sud à l'est, la limite naturelle de la Grande
					Kabylie, suit un cours parallèle au littoral sur la moitié de son parcours et
					oblique ensuite dans la direction sud-ouest /nord-est, vers la mer, où il se
					jette au-dessous de la ville de Bejaïa. La Soummam reçoit la plupart de ses
					affluents du versant sud des pentes du Djurdjura. C'est ce massif montagneux
					qui impose son cours au fleuve. Décrivant un immense arc de cercle, il l'oblige
					ainsi à le contourner. De la sorte, bien plus que l'oued, c'est l'épine dorsale
					du Djurdjura qui dessine la frontière de la Grande Kabylie : une véritable
					barrière naturelle d'une altitude moyenne de mille mètres, franchissable par
					une demi-douzaine de cols surplombant soit des gorges encaissées (ainsi des deux
					axes de pénétration compris entre le col de Tirourda et celui de Chellata), ou,
					le plus souvent, par des ravins creusés de part et d'autre des contre-forts de
					l'axe central du Massif (ainsi, par exemple, les voies d'accès serpentant au
					pied des cols de Lalla Khadija ou de l'Akfadou). Au regard de cette barrière
					naturelle constituée par le fleuve et la montagne, la double frontière du sud à
					l'est formée par l'oued Sahel/Soummam et par les bourrelets du Djurdjura peut
					être divisée en deux tronçons. 
1. En Kabylie, le
					moindre cours d'eau peut posséder de nombreux noms correspondant aux terroirs
					qu'il traverse. Nous nous en tiendrons à celui qu'il conserve le plus longtemps
					ou qui est le plus connu.
Le premier (a) est compris entre la ville de Bouira, vers
					laquelle plongent les dernières pentes du Djurdjura, et le col de Chellata,
					d'où l'on surplombe Akbou. Le second tronçon (b),
					commençant à la hauteur d'Akbou, va jusqu'à la mer, où se jette l'oued.
a - Sur cette partie, la ligne
					de crêtes du Massif, très vive, est quasi continue à une altitude moyenne de
					quinze cents mètres, courant sur près de soixante-dix kilomètres, cette portion
					du Massif du Djurdjura est à peine lacérée par des ravins creusés par les
					pluies. Ce relief n'a cependant aucunement découragé l'intense trafic
					commercial entre les tribus du flanc nord (et même des tribus du Massif central
					kabyle) et celles des versants sud et, bien plus loin encore, avec les régions
					céréalières de la rive opposée de la Soummam. En l'occurrence, le cours du fleuve
					correspondant à notre premier tronçon est guéable toute l'année en de nombreux
					points. Il ne constitue pas de ce fait un empêche-ment majeur aux échanges
					commerciaux et autres déplacements.
b- La partie du massif du
					Djurdjura située entre Akbou et Bejaïa est beaucoup moins monolithique que la
					première. Elle se rompt en pans de montagne ordonnés en quinconce. De cette
					disposition résultent de nombreuses voies d'accès qui serpentent vers
					l'intérieur du Massif. D'une altitude moyenne beaucoup moins élevée que la
					partie occidentale, ce côté du Djurdjura présente, en revanche, un couvert
					arbustif et forestier beaucoup plus dense (maquis, chênaies, châtaigneraies,
					etc.) qui ajoute encore à l'impression de confusion qu'inspire le relief.
					Cependant, ces deux aspects, la complexité de l'architectonique et l'exubérance
					de la végétation, n'ont jamais pour autant compromis les échanges et les
					déplacements qui empruntent les couloirs naturels entre les montagnes. À
					l'inverse de la situation en amont (dans le premier tronçon du fleuve), le
					cours de l'oued Soummam qui s'écoule en contrebas du Massif s'enfle des eaux de
					nombreux affluents qui rendent sa traversée périlleuse à la saison des pluies.
					Ainsi, soit le faible régime des eaux de l'oued compense la verticalité du
					relief, ou, inversement, la multiplicité des voies de pénétration terrestre
					encourage le franchissement du fleuve tout le long de l'arc du Djurdjura qui
					borde l'oued Soummam. Ces obstacles naturels n'auront pas découragé l'activité
					commerciale des Kabyles. Nous verrons par la suite en quoi la configuration du
					relief, d'une part, et des faits de géographie humaine, d'autre part,
					contribuent à imposer le commerce sur de longues distances soit comme une
					nécessité économique, soit comme une aventure lucrative à haut risque.Cette
					description sommaire des frontières orientale et méridionale de la Grande
					Kabylie avait deux objectifs : il fallait souligner la fermeté des contours et
					montrer que, en dépit de la relative insularité qui en résultait, la région
					disposait vers l'est de nombreuses voies d'accès qui ont rendu possibles les
					communications avec l'extérieur, tant pour le commerce, le courtage des cols et
					le colportage sur de longues distances que pour la culture des plaines. Ainsi
					des tribus du versant nord du Djurdjura et certaines du Massif central kabyle1 louant et exploitant les terres du versant
					sud jusqu'aux plaines de la Soummam. Néanmoins, l'étroitesse des vallées et des
					autres voies de passage vers l'intérieur du Massif a permis aux Kabyles de
					maîtriser l'accès à leur pays et de repousser les envahisseurs qui se sont
					succédé dans cette région avant l'arrivée des Français 2. Beaucoup moins nette est la
					frontière occidentale de la Grande Kabylie. L'oued Isser3, 
1. Ainsi de la
					puissante tribu des Aït Yermi, qui, en sus des ressources que lui procuraient
					ses ateliers d'armurerie et d'orfèvrerie (faux monnayage à l'occasion), faisait
					exploiter ou exploitait directement des terres situées de l'autre côté du
					Djurdjura jusqu'aux environs de Tazmalt. Nous examinerons plus loin, en
					décrivant l'intérieur du Massif kabyle, la variété des assises économiques et
					agraires des différents sous-ensembles que nous avons distingués dans cette
					région.
2. Ainsi, la route principale du limes romain, en reliant
					presque en ligne droite Sitifis (Sétif) à Auzia (Aumale), passe
					largement à l'écart de la frontière méridionale de la Grande Kabylie. De la
					même manière, durant toute la période ottomane, les frontières administratives
					de la Kabylie correspondirent à cette barrière naturelle et séparèrent en deux
					cette région : une partie regardant vers l'ouest sera rattachée au beylik
					d'Alger, l'autre tournée vers l'est à celui de Constantine. Le découpage
					administratif français, sans cesser de subdiviser toujours plus le territoire, reconduira
					ce partage une première fois entre les départements d'Alger et de Constantine,
					puis, une seconde fois, en érigeant la Grande Kabylie en département. 
3. L'oued Isser possède un bassin versant de 3 595 km2.
					Cf. Bataille (1979), p. 71 et ss.
que l'on
					tient habituellement comme une limite naturelle de la région, ne recoupe pas
					exactement la frontière linguistique entre berbérophonie et arabophonie. En
					outre, hormis l'oued Isser1,
					aucune autre barrière naturelle ne vient renforcer la frontière de la Grande
					Kabylie, comme c'est le cas pour ses limites méridionale et orientale.
 En effet, les ultimes plissements du massif
					du Djurdjura qui viennent mourir dans l'Isser culminent à six cents mètres et
					ne présentent aucune différence avec les petits massifs anonymes de l'Atlas
					Tellien, qui recouvrent l'Algérois sur la rive gauche de l'Isser. Beaucoup plus
					ravinés que franchement montagneux, ces plissements ne constituent donc pas un
					obstacle aux communications et aux échanges. La disposition tectonique générale
					de la Grande Kabylie fait que cette région, prise en écharpe par l'arc du
					Djurdjura à l'est et largement ouverte vers l'ouest, s'est de tout temps
					tournée plus vers l'Algérois que vers le Constantinois. Il est enfin une
					frontière à propos de laquelle les géographes sont tous d'accord et qui n'a
					jamais été remise en question ni suscité la moindre réflexion tant elle est
					tangible : la Méditerranée. Pourtant, l'absence totale de dimension maritime
					dans la société kabyle mérite d'être l'objet d'interrogation. À
					l'encontre de toutes les civilisations du Bassin méditerranéen, la disposition
					de plus de trois cents kilomètres de côtes (de l'embouchure de l'Isser à
					Béjaïa) n'a jamais suscité de vocation maritime. Si bien que la mer aura
					constitué pour les Kabyles une frontière bien plus infranchissable que les plus
					hautes de leurs montagnes. Puisque nous n'aurons pas l'occasion de revenir sur
					la dimension maritime de la société kabyle parce que inexistante,
					accordons-nous le temps d'évoquer rapidement une question qui, à notre
					connaissance, n'a jamais été traitée, et qui, pourtant, pourrait suggérer des
					pistes de recherche pour la compréhension des intérieurs 2 de la Kabylie et du relatif
					isolement de cette région.En effet, mis à part les ports établis et gérés par
					des étrangers ou des États centralisés, les populations kabyles du
					littoral méditerranéen ont très peu mis à profit les ressources de la mer.
					Aucune pêche en haute mer, pas d'expédition aventureuse ou de commerce sur de
					longues distances, peu de cabotage, à peine plus de pêche côtière. Nul doute
					que la configuration du littoral méditerranéen de l'Afrique, la rareté des
					mouillages, des criques et des baies susceptibles d'abriter des ports, n'aient
					inhibé la vocation maritime des populations locales3 De surcroît, des facteurs extérieurs au
					Maghreb ont également dû jouer pour contrarier les velléités des Berbères du
					littoral. Ainsi de la densité du trafic méditerranéen, de la permanence
					millénaire d'une âpre compétition pour la maîtrise des mers, tant d'un point de
					vue commercial que militaire, et donc de l'existence de sociétés maritimes
					rivales hautement performantes. 
1. À la hauteur d'Aomar, l'oued Isser fait un coude
					jusqu'à Tablai, où son nom disparaît pour laisser la place à quatre de ses
					affluents. En fait, à l'endroit de sa bifurcation, c'est un autre de ses
					affluents (l'oued Djemaa) qui, en prolongeant son cours jusqu'au-dessus de
					Bouira, marque la frontière de la Grande Kabylie. Arrivé à ce point, ce sont
					les pentes du Djurdjura dans lequel l'oued prend sa source qui assurent la
					continuité de la frontière que nous avons présentée précédemment.
2. C'est en pensant à une notion développée par Jacques
					Berque (dans L'intérieur du Maghreb) que nous utilisons ce mot. Si cet auteur
					l'emploie surtout au second degré, son livre suggère bien, malgré tout, une
					certaine idée d'isolement du Maghreb rural. Non pas, bien sûr, que ces
					populations auraient vécu en vase clos et sans communiquer avec le monde
					extérieur, ce serait là commettre un contre-sens à propos de l'œuvre de Berque
					celui-ci n'a, en effet, cessé de rendre 
					le Maghreb justiciable de la grande histoire et de témoigner de l'écho
					qu'y recontrèrent les  valeurs, les idées
					et les utopies les plus universelles la dimension que nous voudrions souligner,
					en insistant sur les «intérieurs» de la societé kabyle, relève, d'une part, de
					l'importance de la prégnance du local dans le lien social et, d'autre part, du
					quant-à-soi farouche dans cette société ne s'est jamais départie, et qui est
					comme la ronçon de son ouverture au monde. Ainsi, pour le point précis que nous
					discutons plus haut, tout se passe comme si la capacité qu'a toujours
					manifestée cette région à «digérer» (ou à kabyliser) les apports cultureles
					résultant des colonisations  qui se sont
					succédé dans la région n'avait été rendue possible que grace à un solide  enracinement sur place et à une volonté de
					rester entre soi. Dans cette perspective, le desintérêt manifeste pour
					l'aventure maritime peut s'expliquer par le souci de clôturer l'espace de la
					communauté par des frontières aisément maîtrisable. Nous verrons plus loin
					comment, sur la chaîne côtière, la distribution de l'abitat correspand à cette
					oriontation centripète des communautés kabyles.
3. En outre, depuis l'Antiquité jusqu'à la colonisation
					française, le littoral kabyle est le tronçon de la côte méditerranéenne à avoir
					connu le moins d'installations coloniales portuaires : très peu d'échelles
					puniques, à peine davantage de ports romains, tout juste quelques pêche-ries
					abritées derrière des caps (ainsi de Rusgunéa, Rusuccurus, Rusigus, etc.). Sans
					aucun doute, l'absence de possibilité d'expansion vers l'intérieur du pays avec
					la chaîne côtière qui faisait barrage, ainsi que la coexistence belliqueuse des
					tribus kabyles ont pu décourager plus encore que la configuration de la côte
					les tentatives d'implantation coloniale.
Au-delà du
					contraste avec la situation prévalant sur les rives nord de la Méditerranée
					depuis l'aube de l'Histoire jusqu'à nos jours, la différence avec la situation
					des populations berbères de la façade atlantique du Maroc n'est pas moins
					significative. Si elles ne soutiennent pas la comparaison avec les sociétés du
					littoral espagnol et portugais, à la vocation presque exclusivement maritime, les
					communautés marocaines ont malgré tout une tradition maritime importante faite
					de cabotage et de pêche. Il faudrait donc chercher au-delà des déséquilibres
					dans les rapports de forces régionaux, et au-delà de l'indolence, pour ne pas
					dire de l'indigence des techniques navales des communautés kabyles, la raison
					de leur absence de dimension maritime. La connaissance des causes ayant présidé
					à ce désintérêt pourrait fournir des pistes de recherche pour l'ensemble du
					monde berbère. Les ressources lexicales de la langue kabyle concernant la mer
					sont sur ce point un bon indice. Si, dans l'ensemble des parlers berbères du
					littoral, le vocabulaire de la mer est très sommaire, il est quasi inexistant
					en kabyle. Les seuls mots actuellement en usage sont des emprunts à la langue
					arabe. Jusqu'au substantif servant à désigner la mer ou les ports1. Le contraste est saisissant avec la
					multiplicité des mots kabyles (de racine berbère) désignant les paysages et les
					moindres accidents topographiques. Pour la terre, donc, un lexique aux racines
					berbères très riches, et pour la mer, un vocabulaire des plus sommaires
					emprunté à la langue arabe2.
					L'histoire du peuplement de la Kabylie serait d'un grand secours pour
					comprendre pourquoi cette région a si peu investi la mer. Or, dans l'état
					actuel des connaissances, cette histoire est à peu près inconnue. Cependant,
					nous en savons suffisamment pour rejeter les hypothèses du début du siècle
					selon lesquelles ce peuplement serait récent et résulterait pour une grande
					part des invasions arabes du XIe siècle3.
					En effet, si les mouvements de population datant de cette époque ont
					certainement accru la vocation de sanctuaire des massifs montagneux, on ne
					saurait y chercher l'origine d'un peuplement déjà attesté aux époques
					préhistoriques.
Premiers survols des «intérieurs» du pays Les plaines
En langue kabyle, arabe ou française, pour l'érudit comme pour le sens commun, les mots Kabylie et Kabyle sont presque devenus synonymes de montagnes et de montagnards. À tel point que les Sahéliens désignent les montagnards, qu'ils soient kabyles ou non, par le nom de Qabaîl. De la même façon, et jusque dans les années 40 du XXe siècle, des manuels scolaires dénommaient Kabylies les différents massifs montagneux de l'Afrique du Nord, évoquant ainsi les Kabylies d'Algérie, de Tunisie, et même du Maroc4. Or si, pour diverses raisons, les kabyles ont pu représenter l'archétype du montagnard d'Afrique du nord5, non seulement il n'est de Kabylie que la région dans nous avons précédemment décrit les frontières, mais, on outre, cette région comprend des plaines et de nombreuses basse collines. Avant d'envisager le rôle essentiel de ces plaines dans l'économie kabyle traditionnel à la lumière d'une importante étude que leur consacra Yves Lacoste6 , contentons-nous de les localiser et d'en apprécié la surface.
1. En langue kabyle, la mer est désignée par le même mot
					qu'en langue arabe : lebher. Aucun mot n'existe pour désigner la Méditerranée
					et, a fortiori, les autres mers et les océans. De même, le mot désignant un
					port est d'origine arabe: lmersa.
2. Nul doute que des mots proprement berbères devaient
					exister (si peu nombreux qu'ils fussent) avant que des emprunts à l'arabe ne
					s'y soient substitués.
3. Il s'agit notamment des confédérations tribales arabes des
					Banu Hillal, Banu Solaïm et Banu Maqil. Dans l'historiographie coloniale, ces
					mouvements de population étaient présentés comme des nuées de sauterelles
					balayant tout sur leur passage, et ayant provoqué une profonde régression
					sociale au Maghreb, notamment en induisant un phénomène de bédouinisation des
					populations auparavant sédentaires ou en rejetant dans les montagnes les plus
					irréductibles des Berbères. Non seulement la réalité fut beaucoup plus nuancée
					et les Berbères n'ont pas attendu les Arabes pour occuper des montagnes
					beaucoup plus accueillantes du point de vue agronomique et pluviométrique que
					les plaines insalubres ou les steppes désertiques, mais encore, plusieurs
					auteurs contemporains ont noté, antérieurement au déferlement des Arabes
					nomades au Maghreb, l'amorce d'un phénomène de re-nomadisation sous le coup des
					déprédations de nomades chameliers berbères de la branche zénète. Ces derniers
					ayant en quelque sorte préparé le terrain aux invasions arabes. En outre, la
					similitude des genres de vie des Berbères et des Arabes chameliers permet
					d'expliquer la rapidité de la conquête et de l'intégration des Berbères dans
					les ensembles politiques mis en place par les Arabes.
4. Ainsi des ouvrages de Gautier et leurs multiples
					rééditions jusqu'en 1942.
5. Cf. Mahé et
					Khemmache (2000), «Robert Montagne et la politique berbère de la France», La
					sociologie musulmane de Robert Montagne, Maisonneuve et Larose, Paris, 2000.
6. Cf. «Rapports
					plaines montagnes en Grande Kabylie», in Hérodote, pp. 470-539.
Les plaines et les basses collines occidentales
En venant
					de l'Algerois, et après avoir trversé l'oued Isser, il y a d'abord les plaines
					dites de basse kabylie, qui s'eténdent j'usqu'à l'oued Sébaou. Surnageant de
					ptits pâtés montagneux anciens appartenant à la même formation géologique que
					le massif central kabyle s'érodent en basse collines propices à l'agrculture.
					Prolongement naturel de la fertile mitidja Algeroise, cette région a été très
					tôt accaparée et mise en culture par les colons fraçais. 
La dépression Dra elMizan / les Ouadhias
En suivant,
					par le sud, le couloir compris entre le Massif central kabyle et les
					plissements calcaires du Djurdjura, nous trouvons une vaste dépression
					s'étendant de Dra El-Mizan aux Ouadhias, soit une plaine de près de 24 000
					hectares cultivables.
La vallée du Sebaou
La vallée
					de l'oued Sebaou1 est un large
					ruban compris entre la chaîne côtière kabyle et le Massif central. En fait,
					hormis le lit de l'oued, qui peut atteindre, en raison de ses multiples
					nervures, jusqu'à trois kilomètres de large, ce que nous convenons d'appeler
					une plaine et que les géographes désignent sous le nom de glacis est une
					succession de collines marneuses étagées par des séries de talus formés par
					sédimentations successives. L'ensemble de la vallée apparaît sur une carte
					comme un gros estomac à l'envers qui commence vers l'ouest, à la hauteur de
					Bordj Sebaou, et finit, à l'est, dans un étranglement au pied de Bousguen.
					Comme nous le verrons, cette vallée, parsemée de fermes données en apanage par
					les Turcs aux marabouts locaux, a été de tout temps l'enjeu des convoitises des
					tribus installées sur les hauteurs, et donc l'objet des plus âpres contentieux
					fonciers souvent réglés par de violents combats.
La vallée de la Soummam
Nous avons
					vu que l'oued Soummam trace les frontières orientales de la Grande Kabylie.
					Néanmoins, le finage des nombreuses tribus installées au-dessus de ses berges
					chevauche souvent le cours d'eau, aussi avons-nous inclus ses populations
					riveraines dans le cadre de cette étude. Beaucoup moins large que la vallée du
					Sebaou, celle de l'oued Soummam n'en offre pas moins des conditions propices à
					l'agriculture. En outre, ces terrains ont toujours été à la disposition des
					tribus riveraines par suite de l'absence d'établissement turc dans la région,
					hormis à l'embouchure de la rivière, à Bejaïa.
Les montagnes
La chaîne côtière2
La chaîne côtière s'étire sur un peu plus de 100 kilomètres entre cap Djinet et Bejaïa et sur une largeur maximale d'environ 30 kilomètres, la chaîne côtière ne présente pas d'arêtes vives ni de lignes de crêtes saillantes. Tout en contreforts, disposés sans aucune orientation cohérente, ses plus hauts sommets culminent aux alentours de 1300 mètres3. Vu de la mer, ce massif confus révèle un manque de vigueur et inspire presque un sentiment de désolation. Toutefois, d'ouest en est, l'altitude moyenne du massif s'élève progressivement, de même que s'élargissent ses bases et que l'ensemble se couvre d'une végétation de plus en plus dense. À près de 30 kilomètres à vol d'oiseau de la côte, entre les forêts de l'Akfadou et de Yakourène, un tronçon de la chaîne s'avive en se hérissant de cols. C'est à cet endroit, paradoxalement le plus densément peuplé, que le massif présente le plus de tempérament. Cette partie intérieure du massif contraste avec ses marges côtières constituées par d'étroites bandes pierreuses ravinées, et sous-peuplées. La caractéristique physique majeure de la chaîne côtière réside dans cette opposition entre ses versants nord et sud4. Nous verrons