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Histoire D'Algerie

Histoire
GEORGES DUBOUCHER

 

 

 

GEORGES DUBOUCHER

 

 

L'Algérie

1870 · 1930

 

 

 

 

Préface du Professeur Félix LAGROT.


PREFACE

 

Quel trésor d'évocation et de documentation sur notre vieille Algérie française, en son temps et en ses images ! Nous retrouverons, dans ces feuilles, le passé imagé de notre terre, telle que la France l'a trouvée d'abord, puis l'a transformée. Nos yeux y voient l'irré­futable témoin de l'action obstinée, fervente de la Mère Patrie. C'est un grand bonheur que Georges Duboucher ait accepté de nous faire profiter de sa connaissance du Vieil Alger, de la vieille Algérie dont il évoque l'histoire - la grande et la petite - et l'archéologie avec ferveur et émotion à la fois. Sachons lui gré de nous faire bénéficier de sa culture associée sa passion d'éminent cartophile algérianiste.

Images et textes nous rappellent ou nous révèlent tant de précieux événements algé­rois : les premiers « Transat », les visites impériales et présidentielles, la place du Gouver­nement où perce la nostalgie de Georges Duboucher (son quartier...), la rue Bab-Azoun et la pâtisserie Fille (dont la fillette, devenue plus tard la célèbre actrice de cinéma Alice Field, était ma camarade de jeu) et la résurrection de Tipasa, où sa mélancolie perce sous l'écri­ture et nous est communiquée. Et d'Alger, nous revoyons la Casbah, la mer, le port, le môle (toute ma vie...), l'Hôtel Saint Georges, les bals de la Préfecture, notre Hôpital de Mustapha, partie vive de notre chair. J'ai mal connu les autres villes dont parle Duboucher - c'est mon regret et ma honte - et je n'ose donc en parler. Chacun de nous connaissait mieux son petit carré natal et c'est pourquoi on devine notre auteur au bord des larmes lorsqu'il parle de Téniet-el-Hâad où il naquit, où exerçait son père que nous vénérions tous, le docteur Désiré Duboucher.

Et puisque je viens d'évoquer un de nos anciens confrères, qu'on me permette de rap­peler aussi la mémoire du docteur Fernand Gauthier, l'ophtalmologiste bien connu de nos parents et de nombre d'entre nous, spécialiste précurseur de l'histoire du Vieil Alger. Ce liure l'eût enthousiasmé. Sa bibliothèque, unique sur ce sujet, fut hélas ! incendiée dans sa villa de Bouzaréah, lors d'une perquisition des forces de l'« ordre ». Quelles richesses furent définitivement perdues pour nous, pour l'histoire, pour l'humanisme !

Le livre de Georges Duboucher sera l'un des plus chers de notre jardin sentimental, recueil de nos images évoquées, matérialisation précieuse, touchante des souvenirs de notre passé qui vit en nous jusqu'à l'extinction de notre génération.

Félix Lagrot

 

 

 

 

A mes Petits Enfants qui auront vingt ans quand ces photos auront un siècle

 

« Que la mer soit étale ou mouvante la lame,

« cingle, Alger, pavoisée de hautain souvenirs.

 

                                                                                                                 Jean Pomier, « Poèmes pour Alger »

 

« Tu te crois au matin d'une nuit de fête?

« c'était celle de la jeunesse.

 

                                                                                                                                   Texte attribué à Avicenne

Traduction de H. Jahier et A. Nouredine
AVANT-PROPOS

L'ALGÉRIE, TERRE DU VOYAGE

 

Aussi loin que nous remontions dans le passé, nous voyons le Maghreb traversé ou occupé par des hommes venus d'ailleurs. Les Phéniciens en fréquentaient les côtes avant même de fonder Carthage. Et c'est encore la mer qui amena les Romains, les Byzantins, les Espagnols, les Turcs et les Français.

Les premiers visiteurs de l'Algérie française n'attendirent pas le confort des paquebots de croisière, ni la disparition des diligences. Dès 1832, Eugène Delacroix fit une brève escale à Alger, le temps de quelques croquis. Quoi de surprenant à ce que la séduction de l'Orient se soit d'abord exercée sur les peintres ? Un an après, c'était le tour d'Horace Ver­net, fasciné à tel point qu'il allait revenir trois autres fois, précédant de quelques années ses cadets Fromentin et Chassériau.

Voici maintenant des écrivains : Alexandre Dumas père, Alexis de Tocqueville, les frères Goncourt, Flaubert, Alphonse Daudet, Théophile Gautier et bientôt Alexandre Dumas fils. A la même époque, Victor Hugo inscrivait r« Orientale » dans « Les Châti­ments » et Louis Veuillot faisait paraître son ouvrage : « Les Français en Algérie ».

Vint alors la sombre période de 1865 à 1872, celle de la grande épidémie de choléra et d'une sécheresse sans précédent. Les sauterelles s'abattirent sur l'Afrique du Nord. La famine s'installa. Pour comble d'infortune, Blida fut ravagée par un tremblement de terre et, un an plus tard, en 1868, la population du Constantinois dut affronter une épidémie de typhus. Pour couronner cette malédiction, éclata l'insurrection de la Grande Kabylie, fruit amer de la capitulation de Sedan.

 

Mais, dès 1872, une renaissance s'annonce. Sitôt sortie de ces sombres années,

l'Algérie reçoit de nouveaux visiteurs : Camille Saint-Saëns effectue son premier voyage. Les peintres renouent avec la tradition orientaliste. Lebourg et Gérôme arrivent d'abord. Un peu plus tard, en pleine révolution impressionniste, Renoir fixe sur la toile sa fameuse « Algérienne au faucon ». En 1883, Etienne Dinet pose le pied sur cette terre africaine qui devait l'envoûter. Et, en 1906, c'est Matisse qui vient peindre une « Algérienne » actuelle­ment au musée d'Art Moderne.

Les hommes de lettres de cette seconde vague du voyage feront mieux que leurs pré­décesseurs. Ils resteront plus longtemps. Ils pénètreront plus profondément dans le pays. Jules Lemaître est, pendant quelques années, professeur à l'École Supérieure de Lettres. Il accueille, en 1881, Guy de Maupassant, venu chercher la matière colorée de son ouvrage « Au Soleil ». Le normalien Masqueray, vêtu d'un costume arabe, s'aventure jusqu'au Mzab non encore annexé et obtient communication de précieux documents. Stéphane Gsell et Émile Gautier sont alors les éminents historiens du passé de l'Algérie.

Il est non moins admirable de constater avec quelle passion on entreprend alors l'exploration scientifique de l'Algérie. Gustave Le Bon y prépare son ouvrage sur « La Civi­lisation des Arabes ». Paul Bert, ce savant biologiste et politicien, amoureux de l'Afrique du Nord, y revient plusieurs fois. Jules Ferry et Eugène Manuel, alors ministres de l'Instruction publique, sont reçus respectivement en 1887 et 1889. Le docteur Roux l'est, à son tour, en 1911 et Konrad Kilian en 1921.

Évoquons ici l'arrivée de Louis Bertrand. Il est nommé, en 1890, professeur au Lycée d'Alger. Il a 25 ans et se trouve immédiatement en résonance avec ce pays qu'il s'efforce de mieux comprendre en partageant la vie de sa population. Il réside à l'entrée de Bab-el­Oued et parcourt, avec les inconfortables charrois de l'époque, les grands axes de pénétra­tion vers le sud. Une fois dégagé de ses obligations universitaires, il revient, de multiples fois, dans ce pays neuf, attiré non seulement par « l'air de volupté qui baigne les quartiers secrets de la haute ville », mais encore par une sympathie envers ces hommes « énergi­ques et entreprenants » qui répondent à son idéal de Lorrain, meurtri par la défaite de 1870.

Avec Louis Bertrand, le voyage s'achève donc par un enracinement. Peu importe que l'auteur de « Pépète et Balthazar », dans son souci de latinité, ait écarté « le décor islami­que et pseudo-arabe qui fascinait les regards superficiels ». D'autres que lui savent diversi­fier le regard du voyageur européen à l'égard du monde musulman. Telle l'équivoque et passionnée Isabelle Eberhardt, d'ascendance allemande et slave, très tôt grisée par l'Orient, qui ne cesse d'osciller entre sa vocation littéraire et sa dromomanie. Nul visiteur ne sillonnera davantage les routes du sud et ne se fixera plus profondément au sol africain.

Reconnaissons le pourtant : nombreux sont ceux qui ne font que passer, en touristes pressés : Francis Jammes n'est pas retenu par Biskra. Anatole France et Michel Corday ne s'attardent pas. Appolinaire ne séjourne à Oran que le temps d'y trouver sa compagne. Pierre Louys écrit, à Alger, la préface de son « Aphrodite » et s'éclipse. Autres voyageurs fugitifs : Jules Verne, Claude Farrère, Jean Moréas, Oscar Wilde, Henri Ghéon, Pierre Loti, Henri Bosco, Paul Valéry et combien d'autres...


A l'opposé, serons-nous surpris de constater que le pari sur l'Algérie, l'engagement aux côtés d'un peuple jeune, ce sont des hommes du midi qui l'accomplirent. Hormis Vic­tor Barrucand, ce parisien exilé à Alger, la plupart avaient acquis, dans l'arrière-pays médi­terranéen, le goût du voyage et le vertige du départ. Jean Pomier sortait du « Petit Lycée » de Toulouse. Gabriel Audisio était né à Marseille. Gaston Bonheur retrouvait à Berrouag­hia le Capendu de son enfance. Fernand Arnaudiès arrivait tout droit de son Roussillon natal. La règle valait aussi bien pour les peintres : Alfred Chataud était Languedocien, comme Hippolyte Lazerges. Marius Reynaud avait habité Marseille. Bascoulès descendait d'une Biterroise, la marquise de Serres.

Aux côtés de ces hommes séduits par la terre et par le climat, une large place revient à ceux qui furent conquis par l'Islam et firent carrière en Algérie : les Marçais, les frères Bas­set, Alfred Bel, Marius Canard et Henri Pérès, enfin ce grand médecin que fut Henri Jahier. Sans compter les musulmans natifs du pays : Mohamed Ben-Cheneb et Abd-el­Kader Noureddine.

Ce n'est pas tout. La liste de ces témoins privilégiés de l'Algérie ne serait pas complète si nous ne mentionnions les visiteurs princiers, les personnalités politiques et surtout les butineurs de la belle saison, hivernants irréguliers de l'Algérie, mais que Paris rappelait aux premiers beaux jours. Saint-Saëns, habitué d'Hamam-Righa, fut le plus fidèle. Albert Mar­quet se fiança à Alger. Montherlant y écrivit un livre fervent. Quant à Gide, guetteur obs­tiné de lieux tranquilles, nous retrouvons sa trace un peu partout, de la Tunisie au Maroc et d'Alger à Biskra.

Cette brillante cohorte d'écriains, d'artistes, de savants, de publicistes, touristes éphé­mères ou hivernants assidus, appartient désormais au passé. Assurément ces hommes n'avaient pas traversé la mer pour comtempler seulement quelques palmiers agités par le vent ou s'asseoir au café maure. Si grande que fût leur quête de dépaysement ou d'exo­tisme, des raisons plus profondes les poussaient, des impressions plus pénétrantes les attendaient. Nous serions satisfaits si quelque reflet authentique de ces raisons et de ces impressions se découvrait encore sur les images de cet album.

 

EN MER, DESTINATION : ALGER

Traverser la Méditerranée, vers le milieu du siècle dernier, n'était plus une aventure risquée, mais n'était pas encore une douillette croisière. Les navires à aubes de l'époque manquaient de confort. Le voyage durait deux à trois jours. Encore fallait-il compter avec l'état de la mer. Car les tempêtes ne sont pas rares dans le golfe du Lion et au large d'Alger. Le « Sphinx », le « Général Chanzy », l'« Isaac Péreire », le « Lamoricière », y ont laissé leur carcasse. Et combien d'autres plus petits ! « Mare Saevum » écrivait Salluste, qui avait une expérience personnelle de la Méditerranée.

Un monde disparate s'entassait sur ces navires de la première période : militaires aiguillés vers de nouveaux destins, fonctionnaires mutés dans la « Colonie », manouvriers nécessiteux ou paysans besogneux, jeunes hommes épris d'aventure ou de romanesque, peintres et écrivains séduits par le voyage ou attirés par l'exotisme, conquistadores d'un autre monde.

En 1841, la levée de la quarantaine avait permis l'installation de la première ligne heb­domadaire Marseille-Alger, desservie par trois vapeurs de la compagnie Bazin et Périer : le « Tage », le « Sully » et le « Pharamound », ce dernier doté d'une coque en fer. Un départ avait lieu de Marseille les 10, 20 et 30 de chaque mois. Les passagers étaient logés dans des salons communs et les plus chanceux pouvaient bénéficier de cabines particulières à deux couchettes. Par temps calme, la traversée ne dépassait pas quarante-huit heures.

En 1847, au moment où Bugeaud décida d'implanter des colons en Algérie, une compagnie Arnaud, Touache frères fut fondée avec l'aide de capitaux lyonnais. Elle débuta modestement, faisant relâche aux Baléare's au moindre mauvais temps, mais elle fut la première à utiliser la vaporisation de l'éther pour alimenter les cylindres des machi­nes ; d'où une économie considérable de charbon. C'est ainsi que, le 28 février 1852 le « Du Tremblay » effectua son premier voyage sur Alger, avec cinquante passagers.

Le « Du Tremblay » n'eut pas de postérité. L'éther comportait décidément trop de ris­ques. Il fallut attendre treize années encore pour qu'un progrès décisif survînt. En 1865, la Société Générale des Transports Maritimes à Vapeur (SGTM), soutenue par la puissance financière des frères Talabot, lança des bâtiments de 1 200 tonneaux qui furent vite célè­bres sous le nom de « Talabots ». Ce succès donna le coup de grâce à la dernière compa­gnie qui employait encore des bateaux à voiles.

La fin du siècle vit l'entrée en scène de la Compagnie Générale Transatlantique qui, de 1887 à 1893, mit en service une première génération de cinq navires. Les trois plus anciens : l'« Eugène Péreire », le « Duc de Bragance » et le « Maréchal Bugeaud » sont tombés dans l'oubli, au terme d'une longue carrière. Les deux autres eurent un tragique destin : la « Ville d'Alger » abordée et coulée dans le port de Marseille ; le « Général Chanzy » brisé par la tempête sur les rochers de Minorque.

Naguère, ces voyages en Méditerranée nous valaient de savoureux récits. Eugène Manuel raconte, dans une lettre de famille, sa traversée mouvementée en 1889: « Nous avons été malades comme des brutes, face à face, dans nos deux lits jumeaux, n'ayant vu de la Méditerranée que le point de départ et celui de l'arrivée. Ah ! le vilain mal, l'affreux mal, quand roulis et tangage s'en mêlent à la fois ! Je ne puis nous le représenter par des mots ; ils n'y suffiraient pas... Nous anions pourtant un magnifique bateau, l'« Eugène Péreire », long, élancé, élégant comme un poisson d'eau douce !.. »

Cet « Eugène Péreire », le meilleur marcheur de la ligne était bien hélas ! une véritable fabrique de mal de mer. Louis Bertrand l'affirme à son tour : « Tout en agonisant sur ma couchette, je me disais : je souffre le martyre f Mais l'Afrique vaut bien cela !.. J'aurais pré­féré une vitesse plus modérée sur un Prince ou un Duc, voire sur une Ville ou sur un Saint. Mais mon mauvais sort voulait qu'à chaque départ je tombasse sur ce sacré rouleur d'Eugène Péreire ! Un rouleur ! C'est aussi ce que l'on dira du « Charles Roux », sur­nommé le « Charles Roule », et de l'« Hermès », steamer de cabotage des Messageries Impériales auquel fut attribué la palme ; car il canardait, disait-on, même par calme plat. Et quel rouleur encore, avec son étrave à guibre, ce « Manouba » qui berça rudement certai­nes heures de mon adolescence. A Marseille, avant même de monter à bord, on savait, si le mistral soufflait, que le voyage serait mouvementé. Les premiers avertissements sérieux arrivaient dès le passage du Château d'If. Quand les falaises crayeuses de Marseille commençaient à se confondre avec l'horizon, l'ampleur du tangage et du roulis augmentait encore. On comprenait alors que l'on gagnait la haute mer. Aura-t-on encore faim, tout à l'heure, quand sonnera la cloche du repas ? Car tel est le véritable test du pied marin : qua­rante convives se présentent à la salle à manger ; mais il n'en restera que vingt au dessert. Et combien seront encore debout, vers minuit, quand se distingueront les lumières de Majorque ?

Heureux ceux qui, en revanche, après une sereine traversée, peuvent saluer, d'un coeur allègre, la terre africaine : « Ça y est, la côte est en vue. » La nouvelle, surgie en quelque point du navire, se propage le long du pont et traverse les coursives. On scrute l'horizon, car l'oeil n'est jamais blasé. Et chacun apaise son attente en regardant sortir de la brume cette tache qui s'ouvre, écrit Émile Henriot, « comme une carie dans la montagne » . Alger est là, telle que Delacroix en a fixé, sur une aquarelle du Louvre, la per­ception éblouie.

 

La jetée Nord

On la contourne pour pénétrer dans le port. Alger apparaît dans toute sa splendeur, domi­née par la masse blanche de la Casbah. « Féérie inespérée et qui ravit l'esprit ! Alger a passé mes attentes. Qu'elle est jolie la ville de neige sous l'éblouissante lumière ! Une immense ter­rasse longe le port, soutenue par des arcades élégantes. Au-dessus, s'élèvent de grands hôtels européens et le quartier français ; au-dessus encore s'échelonne la ville arabe... »

(Guy de Maupassant Au Soleil)

 

 

La plage arrière d'un navire, au début du siècle.

Il s'agit probablement du même stea­mer que celui de la figure précédente. La mer est calme. La traversée durera environ trente six heures. On tue le temps comme on le peut.

 

 

Sur le « Moïse », aux environs de 1900

Les passagers se rassemblent sur le pont, avant l'accostage. Le maître d'hôtel est présent. On échange quelques impressions sur la traversée. Remarquez la diversité des chapeaux. Le couvre-chef est de rigueur, d'autant mieux que la coutume se double, en Algérie, de crainte des insolations.

Le « Moïse » fut premières unités de la Compagnie Générale Transatlantique, sur  une des les lignes de la Méditerranée.

 

 

Arrivée à Alger de « La Marsa ».

Ce navire, de la ligne Alger-Port-Vendres, était encore en service en 1923. A l'époque, la gare maritime n'était pas construite. On débarquait sur un ponton de chalands fixé au quai. Ces mêmes chalands servaient à l'embarquement des moutons et des marchandises.

 

 

 

Le pont d'un steamer au départ d'Alger.

La mode est celle de 1900. On ne savait pas encore s'équiper pour le voyage en mer ; les femmes se devaient de conserver leur chapeau, même sur le pont du navire. Quant aux militaires, ils ne s'habillaient pas encore en civil lorsqu'ils se déplaçaient isolément.

 

 

 

Le pont du « Mytho ».

Il fallait s'emmitoufler pour résister au froid, au vent et à l'humidité de la nuit. Mais, par beau temps, cette solution était préférable à celle du hamac en chambrée. Charles Pourcher nous a laissé une description pittoresque de ces chambrées du « Mytho » : « Il fallait être exercé à la gymnastique et muni de bons poignets pour se hisser sur ce lit fluctuant qui n'avait jamais été honoré de la moindre garniture de draps et de matelas. »

 

 

 

Le « Mytho ».

Construit en 1879 pour servir au transport de troupes, le navire était équipé de hamacs et ne disposait que de quelques cabines d'officiers. En 1910, une grève des inscrits maritimes fit affec­ter momentanément ce bâtiment de l'État à la Méditerranée. Plus tard, le « Mytho » fut rebaptisé « Bretagne » puis « Armorique ». Il termina sa car­rière comme navire école de mousses.

 

 

 

 

La place du Gouvernement, centre historique de l'Alger français.

Elle s'appela « Place Royale » sous Louis Philippe et « Place Nationale » en 1848. On voit ici a son côté nord, premier achevé et qui groupe les immeubles les plus chargés de souvenirs. A gauche : l'hôtel de la Régence (ex : hôtel de la Tour du Pin) commencé dès 1837. Il fut, plus tard, surélevé d'un étage. A droite, les deux bâtiments juxtaposés sont,  premier plan, le très célèbre café d'Apollon ; au second plan, la librairie Bastide, reprise en 1871par Adolphe Jourdan,  première maison d'édition d'Alger.

 

PLACE DU GOUVERNEMENT

Du débarcadère, on accède aux boulevards. Mais, avant que ceux-ci ne fussent construits, la voie d'abord de la ville empruntait la jetée Kheir-ed-Dinn et la Porte de France, ainsi nommée parce qu'on la franchissait en venant de France ou en s'y rendant. Le court boulevard de France, devenu boulevard Anatole France, conduisait ensuite à la place du Gouvernement ou, plus simplement, à « la Place », point central vers lequel convergent le quartier italien de la Marine, Bab-el-Oued l'espagnole, les multiples ruelles de la Casbah et surtout la rue Bab-Azoun, axe privilégié de la pénétration française.

Sitôt débarqué le voyageur de 1900 trouve, sur la Place, tout ce dont il a besoin : hôtels, voitures de louage, corricolos, boutiques, banques, agences de voyage. Sans compter un syndicat d'initiative qui s'intitule Comité d'Hivernage et qui ne manque pas d'ambition, témoin le texte de cette brochure publicitaire : « Fondé au mois d'avril 1897, le Comité d'Hivernage Algérien comprend tous ceux qui s'intéressent au développement de la blanche El Djezaïr et qui rêvent de la voir devenir... la reine des stations hivernales de l'univers entier. »

Ce lyrisme outrancier est révélateur. Il donne le ton de l'enthousiasme et de l'efferves­cence d'une époque. Une telle ardeur avait apparemment son foyer au Café d'Apollon, forum où se réglaient les affaires de la capitale. Là, entre les peintures orientales des murs et le dieu porte-lyre du plafond, se rassemblèrent d'abord chevaliers d'industrie et arrivistes de tous bords. Ces spéculateurs avaient leurs raisons. Ne disait-on pas que, sur le zinc de ce café, on devenait millionnaire en vingt-quatre heures, tout comme dans la rue Quin­campoix ?

La bourse, à peine clandestine, du Café d'Apollon ne pouvait pas durer. Quinze ans plus tard elle était progressivement devenue un cabinet littéraire. L'intelligentsia locale avait remplacé aventuriers et rastaquouères. Tout ce que la capitale vit alors défiler d'écrivains, de publicistes et d'artistes fit au moins une' halte dans ce haut-lieu de l'Alger d'autrefois : Veuillot, secrétaire de Bugeaud, Alphonse Daudet, Maupassant, Pierre Louys, Barrès, Louis Bertrand et assurément beaucoup d'autres.

A deux pas du Café d'Apollon : la librairie Bastide-Jourdan, cette halle aux bouquins qui joua durant plus d'un siècle un rôle de premier plan dans l'édition algéroise.

A côté, l'immeuble du marquis de la Tour du Pin. En son rez-de-chaussée : des bouti­ques de luxe et des marchands de nouveautés. Que de foules, de toilettes, de fashionables en chapeau tromblon, d'officiers décorés avaient hanté ses salons, les soirs de réception, avant que la maison du marquis ne fût convertie en « Hôtel de la Régence » ! Ce dernier n'avait au début que trois étages et s'ouvrait directement sur la Place. En 1862, on décida de créer, sur son seuil, un petit square et l'on procéda, avec beaucoup de peine, à la trans­lation de quelques grands palmiers. La décision était heureuse ; ce coin devint un ravissant bosquet où se déployèrent les éventaires de marchands de fleurs.

D'autres initiatives arboricoles furent moins heureuses. Longtemps nos édiles s'inter­rogèrent sur la décoration végétale de la Place. En 1841, on commença par planter des ormes, mais, à la suite d'un oukase administratif, ils furent impitoyablement arrachés et remplacés par des orangers... qui refusèrent obstinément de grandir. On planta dès lors des bellombras, ces arbres à croissance rapide et qui ne redoutent pas le climat marin. Mais le bellombra avait ses détracteurs acharnés ; certains trouvaient sa forme inélégante et son bois tout juste bon à brûler. En 1853, le choix se porta donc sur le platane, une valeur sûre qui donnerait à la Place un petit air de Provence. On avait simplement oublié que, pour une ville d'hivernage, l'arbre à feuilles caduques n'était pas un bon choix. La Place, agréa­ble l'été, devenait sinistre l'hiver. On finit donc par raser les platanes et c'est ainsi que notre génération connut l'ombre des ficus.

Le côté sud de la place du Gouvernement n'est pas moins riche de souvenirs que le côté opposé. Dès 1837, on y entreprit la construction de l'immeuble Duchassaing, vaste bâtisse traversée par une galerie où défila longtemps l'élégant public du Comité d'Hiver­nage et du Café Concert « La. Perle ».

En 1864, tandis que se poursuivait la construction du boulevard de l'Impératrice, s'achevait, sur ce même côté sud, un bel immeuble d'angle, bordé d'arcades. On le dési­gna plus tard du nom de ses propriétaires successifs : Villenave, Lescat, Douieb. J'ai vécu au deuxième étage de cette maison, dans un appartement qui n'avait rien de commun avec la magnificence des plafonds décorés et des lambris du premier étage. Là, dans les salons du « Cercle d'Alger », au-dessus du Café de Bordeaux, se rassemblait jadis le gratin judiciaire, administratif, industriel et financier de la ville. Bien entendu, les officiers français et étrangers étaient admis librement et gratuitement. Car, à l'époque, l'uniforme était à l'honneur. Alphonse Daudet n'avait-il pas vu, à Alger, « des militaires, toujours des militai­res

Grâce à quelques gravures anciennes, il est facile d'imaginer les mémorables défilés qui eurent pour scène la place du Gouvernement. Au retour des campagnes de Crimée et d'Italie, à la réception du maréchal Randon, aux funérailles du maréchal Pélissier et surtout lors du voyage impérial, les cérémonies furent brillantes. Le peintre Barry a attaché son nom à une de ces fameuses solennités : l'inauguration de la statue du duc d'Orléans, le 28 octobre 1845.

Cette omniprésence de l'uniforme, vous la découvrirez plus loin, sur la carte postale. La foule qui s'assemble sur des rangées circulaires de chaises, vient écouter la musi­que des zouaves et se laisse émouvoir par de glorieux accents. Une heure plus tard ce public se dispersera. Mais n'allez pas croire qu'il fallait un orchestre pour animer la Place du Gouvernement. Les gravures de l'époque, les daguerréotypes, les premières photogra­phies, attestent le contraire. Et Gabriel Esquer précise : « la chapska des chasseurs d'Afri­que voisinait avec le bicorne des gendarmes. On y voyait des espagnols, des maltais, des napolitains, des juifs, des mahonais... L'après-midi, on y rencontrait des italiennes aux robes couleurs crues, des espagnoles avec la mantille, des juives coiffées du sharmah pyra­midal, des mauresques dans des tissus immaculés, quelques lorettes aussi, mises à la mode de Paris. » La nuit venue, la Place, cernée des lumières des cafés, méritait quelques ins­tants de flânerie. Le soir de son arrivée à Alger, en 1865, Napoléon III s'était promené en

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