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Kabyle du Pacifique

La Kabylie
KABYLES DU PACIFIQUE

KABYLES DU PACIFIQUE

« Quant à ceux qu'on retient loin de leur patrie,
le coeur de leurs proches meurt d'angoisse pour eux
à cause de la longueur de la séparation. On finit
par les croire morts, car l'on ne peut s'occuper autant
 des absents que de ceux qui sont présents. »
Si Azziz ben Mohamed Amezian
ben Cheikh el Haddad.
Prison de Constantine. 1873.

 

« La nuit approchait ; sombres et silencieux,
les vaincus d'Algérie et les vaincus de la Commune,
assis côte à côte, pensaient à ceux qu'ils aimaient,
à l'effondrement de leur existence, à l'anéantissement
de leur rêve de liberté. »
Jean Allemane
Bagne de Toulon. 1872.

Mehdi Lallaoui


Kabyles du Pacifique

« Ce sont des âmes d'ancêtres qui nous occupent, substituant leur drame éternisé à notre juvénile attente,
à notre patience d'orphelins, ligotés à leur ombre de plus en plus pâle, cette ombre impossible à boire ou à déraciner...»

Kateb Yacine

Collection « Au Nom de la Mémoire »

 

Recherche et enquête réalisées avec François Vourc'h (URMIS-CNRS).

Collaboration, Marie-Laure Mahé, Yasmina Kherfi, Danielle Maoudj, Ali Fathe Ayadi. Texte, Mehdi Lallaoui.
Iconographie et graphiques, Anne Mérat. Photos, Marc Berteil.

Tirage photos, Sam Noble. Révision, Chafik Guendouz. Attachée de presse, Samia Messaoudi.

 

Remerciements particuliers et chaleureux à tous ceux qui ont participé, par leur aide,leurs conseils et leur témoignage, à la realization de ce livre. José-Louis Barbançon, Roger Pérennés, Bruno Cone, Tayeb Aïfa, Sylvie Clair, Wasisi Iopué, Claude Stéphani, Géraud Degalard, les familles Mokrani, Bel Haddad, Pratie, Bouffenèche, Flotat, Barreteau

 

Avec le concours de la direction des Archives de France, du ministère des DOM-TOM, du FAS, de RFO, des Archives territoriales de Nouvelle-Calédonie, de l'Agence de développement de la culture Kanak, de la ville de Bourail, de la Bibliothèque d'Alger, de la Mitchell Library de Sydney, du Service historique de l'armée de terre, du Service historique de la marine, du Centre des archives d'outre-mer d'Aix-en-Provence, des Archives maritimes de Brest, Toulon et La Rochelle, des Archives départementales des Deux-Sèvres, du Finistère, de la Charente, du Morbihan, des Archives de la préfecture de police de Paris, du musée de Chartres (fonds
Bouges), du musée du Vieux Toulon, du musée da la Marine, du musée de la Commune à Saint-Denis, de l'Association du passé de Bourail, de l'Association des amis de la Commune, des Archives diplomatiques de Nantes, de la Bibliothèque et des Archives nationales de Paris, des collections particulières du Dr Bretonnière, de Jacques Zwim, d'Hubert Martinez, de Luc Chevalier.

 Au Nom de la Mémoire 1994 - Boîte postale 82 - 95873 Bezons cedex

 

LE TEMPS DES INSURRECTIONS

Pour suivre le périple des rescapés déportés de l'insurrection algérienne de 1871.

(bien que quelques-uns soient issus des révoltes de 1866.), il nous a fallu reconstituer un puzzle dont les morceaux sont disséminés dans le monde entier. C'est une histoire oubliée, qui raconte des combats pour la liberté, des fraternités, mais aussi des haines et des injustices. Les insurgés d'Algérie allaient croiser le destin des vaincus de la Commune de Paris, déportés également à la « Nouvelle ». C'est aussi grâce à ces derniers, au travers de leurs correspondances, qu'il nous a été permis de vivre l'épopée de ces exilés du Paci­fique. Ainsi, souvent dans les pages de ce livre, ils seront les narrateurs de cette histoire. Le temps les a unis. Dans les cimetières de Ducos et de l'île des Pins, ils reposent côte à côte. De même que nous les surprenons ensemble dans les cartons des archives d'Aix-en- Provence. Internés dans les mêmes lieux à partir de leur arrivée au fort Lamalgue de Tou­lon, les insurgés de Kabylie seront en permanence assimilés aux communards. La « révolte des Mokrani », c'est ainsi que l'on appela l'insurrection de Kabylie de 1871, reste encore pour les chercheurs un terrain en friche. Ses interprétations sont multiples, mais ses conséquences influenceront, durant un siècle, les événements du pays.

A travers ce travail se pose encore la question de l'écriture de l'Histoire, car la lecture officielle de l'insurrection de 1871 n'a été, jusqu'à récemment, laissée qu'aux seules appréciations des militaires de l'époque.

Dans les prisons de France ou de Nouvelle-Calédonie, on les appelait les Arabes.

Les communards eux-mêmes les dénommaient ainsi, se moquant des subtilités ethnologiques qui n'étaient pas en cours à l'époque. En réalité, la majorité des déportés algériens de 1871 sont des Kabyles islamisés. Ils étaient bilingues, et nombre d'entre eux, notables ou de famille reli­gieuse, écrivaient l'arabe et parlaient le kabyle. Certains, de par leur maîtrise du français, étaient trilingues.

Ils côtoieront des personnalités illustres, dont Louise Michel ou son camarade Henri Rochefort ; d'autres encore nous ont laissé des témoignages émouvants tels qu'Henri Messager qui sympathisa avec eux dans les prisons des îles de Ré et d'Oléron, ou encore Jean Allemane, bagnard de la Commune.

Cette communauté de destin entre les insurgés des deux rives de la Méditerranée allait créer des liens de fraternité jusqu'au début du siècle et se doublera d'une autre rencontre dont l'His­toire nous fait toujours la surprise.

Celle avec les Kanaks, habitant depuis des millénaires cette terre où l'on décida d'éloigner les ennemis de l'ordre établi. Télescopage entre trois continents, trois peuples, et également trois insurrections.

Les déportés de la Commune et ceux d'Algérie auront à se positionner face à l'insurrection canaque de 1878. Et, à l'exception de quelques-uns, ce ne fut pas à leur honneur car ils se ran­gèrent du côté de ceux-là mêmes qui les avaient emprisonnés.

A croire que la décennie des années 1870 fut celle des insurrections vaincues.

Pourtant ces trois évènements ont eu des retombées énormes dans l'histoire contemporaine et respective de chacune de ces trois entités.

Les archives ont été des complices redoutables pour comprendre ces événements. A travers des demandes de grâce, on arrive à cerner les préoccupations et les personnalités des insurgés.

De même les archives militaires nous livrent l'ambiance de cette époque et donnent le ton des conditions du vainqueur. Dans ces documents apparaissent aussi des portraits étonnants de ces insurgés tombés dans l'oubli.

Ainsi, nous avons pu établir l'itinéraire de chacun, la liste et la vie, mais souvent aussi la mort de ces exilés du bout du monde.

Ce qui nous a frappé en enquêtant sur ce sujet, c'est la capacité des hommes chargés de faire respecter la loi de la République à bafouer leur propre principe et leurs propres textes. La loi en vigueur devient ainsi celle du plus fort. Elle devient l'objet d'interprétations, de contorsions, de pression et de consensus surprenant. L'égalité de traitement face à la justice n'était déjà plus la même pour tous, comme le démontreront les avocats de l'époque, défenseurs des insurgés. Ceci est vrai tant pour les brimades et les tortures dont font l'objet les communards dans les pre­miers temps de la déportation que pour ce qui concerne l'amnistie des révoltés d'Algérie qui n'interviendra qu'en 1895, soit vingt-quatre ans après l'Insurrection.

Mokrani et quelques autres ne seront autorisés à revenir en Afrique qu'en 1904.

Ce livre aurait pu être une histoire de ces révoltes, prélude pour chacune d'entre elles à d'autres rendez-vous.

Il restera un récit à la mémoire de tous ces vaincus qui se sont battus pour la liberté ou pour la terre (l'une étant le symbole de l'autre) à l'époque où se battre pour des idées, jusqu'à y laisser sa vie, relevait de la première dignité de l'homme.

 

 

Chapitre premier

L'inévitable révolte

L'accumulation de misères s'abattant en quelques années sur la colonie d'Algérie ajoutée aux intrigues des militaires, qui perdaient de leur pouvoir

au profit d'un régime civil, rendaient la révolte inévitable. Des intérêts souvent opposés allaient s'unir pour tenter de rejeter la colonisation qui avançait

à grands pas. Les mauvaises récoltes et les famines successives (1867-1868), l'accaparement des terres aliénaient les fellahs. La perte d'influence des féodaux, anciens alliés de la France, allait les rassembler dans la révolte. La puissante confrérie des Rahmania ferait le lien entre les riches et les humbles pour

la reconquête du pays. Les décrets Crémieux ne furent que les déclencheurs

de cette guerre qui avait avant tout la terre comme enjeu. Terre pour des colons toujours plus avides d'espace. Terre, unique moyen de subsistance des fellahs. Terre source de pouvoir, d'honneur et de richesse pour ces féodaux d'alors. Terre comme lien spirituel pour les marabouts qui entreront en insurrection. Terre, enfin, comme objet de gloire pour ces militaires assoiffés de reconnaissance et de médailles et aspirant à ne laisser qu'à eux-mêmes le bénéfice des conquêtes territoriales face aux civils qui menaçaient de leur voler les lauriers de cette « grande croisade civilisatrice » qu'était pour eux la colonisation.

 

LES CAUSES DE L'INSURRECTION


L'accaparement des terres et l'avancée rapide de la colonisation seront les causes essentielles de l'insurrection.

L'écriture de l'Histoire de l'insurrection de 1871 en Algérie a été jusqu'à récem­ment laissée aux seules appréciations des vainqueurs de cette révolte. Ce sont les « plus forts » en effet qui écrivent l'Histoire, du moins dans l'immédiate actualité. Ainsi le livre de référence sur cette révolte est-il écrit par le comman­dant Louis Rinn dont l'objectivité n'est pas séparée de ce qu'il fut lui-même : un officier au service de la colonisation. Ce que nos contemporains retiendront exclusivement des causes de cette révolte, ce sont les conséquences induites par les décrets Crémieux de 1870 attribuant à tous les israélites algériens la nationalité française et l'ac­cès aux droits qui en résultaient. Ainsi, à titre d'exemple, peut-on trouver jus­qu'à aujourd'hui (1994) des traces de cette interprétation erronée dans le livre d'Hilary Root sur l'histoire de l'île des Pins (à propos des insurgés de 1871 emprisonnés en Nouvelle-Calédonie) page 26 « seule une centaine de Kabyles, déportés pour leur rébellion antisémite, ... ».

La raison de l'antisémitisme a servi durant plus d'un siècle à expliquer l'In­surrection. Elle a eu pour effet d'occul­ter les causes déterminantes et moins avouables, qui apparaissent dans les débats des procès qui s'ensuivront. C'est une accumulation d'événements qui déclencheront la révolte. Ainsi, l'utilisa­tion des spahis dans la guerre contre la Prusse, les conséquences des famines et l'appauvrissement des foyers face à une colonisation de peuplement déjà opu­lente seront déterminants.

Enfin la fin de règne des bureaux arabes assurant la reproduction d'une caste indigène aristocratique à son ser­vice et à celui de la France entraînera des conflits entre les tenants civils et militaires de l'ordre établi.

Voici les commentaires du président Boulay, à propos des causes de la révol­te, lors des assises de Constantine, qui jugea les chefs de l'Insurrection en 1873 (pages 7 et 8 de l'acte d'accusation).

« L'insurrection locale de Souk-Ahras, qui avait commencé, le 22 janvier 1871, par des actes d'indiscipline commis par des spahis de la smala d'Aïn-Guettar, avait été promptement réprimée.

Elle n'avait été que le prélude de la for­midable insurrection qui, bientôt après, désola la plus grande partie des pro­vinces d'Alger et de Constantine et dans laquelle on vit, pour la première fois, les Arabes et les Kabyles s'unir pour combattre les Français.

On a beaucoup discuté sur les causes de cette insurrection parmi lesquelles de certaines opinions placent au pre­mier rang le changement de système qui s'est produit dans l'administration du pays après le 4 septembre 1870, et particulièrement la substitution du régi­me civil au régime militaire. Ce chan­gement, a-t-on dit, avait, pour consé­quence, forcé l'amoindrissement des chefs militaires, et aussi des grands

chefs arabes, dans leur autorité, leur prestige, leur position. Il devait dès lors indisposer les uns et les autres ; et si, en de telles circonstances, les indigènes se sont soulevés, c'était contre l'autorité civile seulement et non contre la Fran­ce représentée pour eux uniquement par l'autorité militaire à laquelle ils avaient l'habitude d'obéir. Leur soulè­vement a été la conséquence des agis­sements intentionnels des officiers des bureaux arabes, ou tout au moins des fautes involontaires de ceux-ci. Il devait n'avoir qu'une courte durée ; son but était de démontrer l'impuissance du gouvernement civil ; mais, une fois engagée, l'action a pris des proportions inattendues, et ceux qui croyaient pou­voir diriger la rébellion n'ont pu s'en rendre maîtres.

Cette accusation, contre l'autorité mili­taire en général et contre les officiers des bureaux arabes en particulier, n'a pu être justifiée. La procédure, fort incomplète, parce que les magistrats qui en ont été chargés ne pouvaient suf­fire à une tâche aussi écrasante ; la procédure, dis-je, renferme bien la constatation, à la charge de quelques officiers, de quelques actes de nature à faire croire qu'ils n'ont pas strictement accompli leur devoir (...). »

Une commission d'enquête fut créée par l'administration pour tenter d'éva­luer les complicités des militaires à sus­citer la révolte, mais elle ne retiendra rien des soupçons pesant sur eux.

 

Olivier Pain témoigne

Le communard Olivier Pain, qui se battra pour l'amnistie des prisonniers algériens (qu'il côtoya en Nouvelle-Calédonie), donne, en 1881, des précisions dans un fascicule in­titulé l'Amnistie pour les insurgés arabes (conférence faite à la salle Ragache à Paris). A la fin de décembre 1870, M. Gambetta, mi­nistre de la Guerre à Tours, adressait au géné­ral Lallemand, commandant les forces de ter­re et de mer en Afrique, l'ordre de mobiliser les spahis et de les embarquer aussitôt à desti­nation de Marseille. Comment un ordre pareil avait-il pu être donné ? Le ministre de la Guerre était entouré d'officiers d'Afrique qui tous savaient, à n'en pas douter, ce qu'une dé­cision de cette nature pouvait faire surgir de difficultés. En effet, les spahis mariés ne doi­vent jamais, sous aucun prétexte, être arrachés à leur pays. Les détails navrants de l'inconce­vable fait commis sont consignés tout au long dans l'enquête sur le gouvernement du 4 sep­tembre où se trouve une lettre adressée à M. Gambetta par M. Bouzet, ancien préfet d'Oran, commissaire extraordinaire, homme intègre, savant et républicain modéré, dont les assertions ne seraient être mises en doute. Voici cette lettre : « Ordre a été donné, à mon insu, au général Lallemand, de mobiliser les spahis et de les expédier en France. Vous n'ignorez pas, Monsieur le Ministre, que les spahis ne sont pas des soldats réguliers, mais une sorte de garde nationale ou de gendarme­rie indigène. Ils vivent en smala, avec leurs familles, du produit de leur solde et des reve­nus des terres qu'on leur prête et qu'ils font cultiver au cinquième par des métayers appelés Khammès. 11 est bien entendu, bien conve­nu, que leurs services sont essentiellement sé­dentaires, et que, s'ils ont à marcher, ce ne doit être que pour faire expédition en Algérie, et le moins loin, le moins longtemps possible. Dans ces conditions, ils vont de bon coeur et rendent des services. Pour la mobilisation, on avait créé dans chaque régiment un escadron de célibataires. L'ordre donné par le ministre de la Guerre a été une violation de ce contrat tacite et traditionnel. Il a donc excité un grand mécontentement. Comment les .faits se sont-ils passés à Aïn-Guettar ? Je l'ignore ac­tuellement. Je sais seulement avec détail ce qui a eu lieu dans la smala de Moudjheur entre Médéa et Boghar Les spahis s'étaient mis en marche quoique à contre-cœur ; mais ils étaient attendus sur la route par leurs femmes, leurs enfants, les parents de leurs femmes et les leurs, rassemblés sous prétexte ou dans le but réel de faire des adieux. Ils s'arrêtèrent, et bientôt un maréchal des logis - un Français -, qui commandait, fut blessé mortellement d'un coup de fusil. Alors ils se dispersèrent et retournèrent sur leurs pas. Les spahis prétendent que le coup de fusil a été ti­ré non par eux, mais par les Arabes » Après avoir fait l'historique des « menées de l'administration militaire, à la veille d'être anéantie par l'établissement du gouvernement civil en Algérie », Olivier Pain conclut : « La conspiration des bureaux arabes est manifes­te. Plus les forces indigènes s'accroissent, plus, par contre, le général Lallemand dimi­nue les siennes, et ce militaire apparaît bien­tôt, refusant, au moment le plus périlleux, un subside de 6 000 soldats qu'on veut lui expé­dier de France. »

 

Les spahis en Europe

C'est encore Olivier Pain qui nous décrit le rôle des spahis algériens lors de la guerre fran­co-prussienne de 1870, et notam­ment dans les batailles de Woer­th et de Wissembourg : « Souve­nez-vous, citoyens... Dans la journée du 3 août, le général Douay avait été averti par des gens de la localité que de fortes masses ennemies (prussiennes) s'approchaient. Il en informa le général Ducrot et le maréchal de Mac-Mahon qui lui répondirent de résister autant que possible. En conséquence, Douay s'occu­pa, dès le matin du 4, de s'instal­ler solidement sur les collines du Geisberg (...). Un bataillon du 1 Tirailleurs algériens et deux escadrons du I le Chasseurs furent lancés en reconnaissance au-delà de la Lauter, sous les ordres du colonel Dastugues. (...). Non loin de là, on aperce­vait un moulin et une ligne d'an­ciens ouvrages défendant le pas­sage de la Lauter : c'étaient les fameuses lignes de Wissem­bourg, célèbres par la défense de Hoche, en 1793. Quelques habi­tants des environs... venaient dans les lignes, causant avec les officiers, et annonçant que, peu de jours auparavant, des uhlans étaient entrés dans Wissembourg pour s'en éloigner bientôt, que l'ennemi devait être dans la forêt de Mundat, mais assez loin, et qu'on n'en avait pas de nou­velles... Vers 7 h 30 du matin, la reconnaissance du colonel Das­tugues rentra sans rien signaler de nouveau. Sur ce rapport, les troupes s'occupèrent paisible­ment de leur ordinaire du matin. A peine commençaient-elles, que l'ennemi fut signalé sur les hau­teurs de la rive gauche. Une can­nonade épouvantable couvrit d'obus les positions avancées de la division et la ville. Surpris dans sa position par l'armée du prince royal, forte de 180 000 hommes, le général Douay, avec ses 9 000 hommes, n'hésite pas et livre combat. Les soldats culbu­tent les marmites, courent aux armes. Avec un élan admirable, ils se ruent sur les Allemands. La lutte commence effrénée, un contre cinq.

Les régiments algériens montent à l'assaut des hauteurs ; le 1" Turcos, sous les ordres de l'adju­dant-major Bertrand, fait des prodiges ; un autre bataillon algérien, commandant Lammerz, couvre la ville pendant la défai­te. Les cadavres jonchent le sol de toutes parts. Les indigènes vaincus, blessés, ne lâchent pas pied. Ecrasés par la mitraille, désarmés, ils combattent encore. C'est avec les dents qu'ils déchi­rent maintenant l'ennemi qui les cloue, à coups de baïonnette, sur le sol. L'héroïsme des Arabes tués, blessés ou faits prisonniers, en ces journées de Wissembourg et de Woerth, sauva d'un désas­tre d'une boucherie sans précé­dent le gros de notre armée fran­çaise. »


Les bureaux arabes

Commencé en 1830, la conquête de l'Algérie s'étalera jusqu'en 1857 par l'occupation de la Kabylie. Ce n'est qu'à partir de 1837, prise de Constantine et contrôle de l'ensemble de la province et surtout de 1839-1840 guerre contre Abdelkader, que commence l'occupa­tion systématique du pays, à l'aide de contingents très importants pour l'époque (entre 80 000 et 100 000 hommes). L'armée dite d'Afrique est alors invertie sous la responsabilité du ministère de la Guerre, auquel l'Algérie restera attachée, jusqu'en 1870. L'ob­jectif des militaires est de posséder des moyens de contrôle des populations musulmanes. Ils pensent ainsi éviter les erreurs nées de la méconnaissance des langues et dialectes locaux. Il s'agit avant tout de rendre la conquête plus facile, puis de mieux contrôler l'admi­nistration des populations conquises. Pour y parvenir, l'armée d'Afrique est amenée à faire appel à des spécialistes choisis parmi ses cadres, dont la mis­sion est de reconnaître le pays, prendre contact avec ses notables, évaluer les capacités de résistance et guider les colonnes. Il faut attendre que les conquêtes de Bugeaud aient donné à l'armée française la domination sur la majeure partie de l'Algérie du nord pour qu'apparaissent les bureaux arabes dont l'organisation est définitivement fixée par l'arrêté ministériel du 1" février 1844.

Cette organisation consiste à placer dans chaque circonscription militaire de l'Algérie (divisions territoriales corres­pondant aux trois provinces d'Alger, Constantine et Oran, subdivisions et

cercles), et sous la responsabilité des commandants supérieurs des circons­criptions, des officiers spécialement chargés de traiter les relations avec les populations des territoires dits mili­taires, mis en place en 1845. Ces terri­toires sont définis par l'absence de colons européens et de possibilité, dans un délai rapproché, d'y créer des éta­blissements permanents, par opposition aux territoires civils, « ceux sur les­quels il existe une population civile européenne assez nombreuse pour que tous les services y soient ou y puissent être complètement organisés ». Les ter­ritoires militaires représenteront jus­qu'en 1870, veille de l'Insurrection, l'es­sentiel de la superficie et de la popula­tion du pays.

Le bureau arabe d'Oran en 1860.


De la colonisation

L'action des bureaux arabes ne peut se comprendre sans référence au fait que leur politique est indissociable d'inces­santes campagnes militaires.

Aux grandes campagnes de Bugeaud (1847), Camou, Bosquet, Bourbaki, Saint-Arnaud (1851), Rangon et Mac- Mahon (1853), Randon (1854) s'ajou­tent les interventions ponctuelles des colonnes à la disposition des chefs ter­ritoriaux. Toutes ces colonnes mettent largement à exécution les menaces que formulait Bugeaud à l'égard des populations insoumises ou en révolte : « (...) J'entrerai dans vos montagnes ; je brûlerai vos villages et vos mois­sons ; je couperai vos arbres fruitiers, et alors ne vous en prenez qu'à vous seuls ».

1871 offrira, aux propos de ce même Bugeaud, l'occasion définitive de ter­miner les objectifs de colonisation de l'Algérie, comme il le définisait1 à la Chambre vingt-cinq années plus tôt. « Ce n'est pas que ces tribus soient inquiétantes, envahisseuses, hostiles... mais c'est un refuge pour nos ennemis ; et puis, ce spectacle de l'in­dépendance fatigue les tribus sou­mises qui payent l'impôt et qui voient auprès d'elles des voisins qui ne payent pas. Nous serons donc obligés de prendre ce pays un jour ou l'autre, mais nous pourrons choisir notre temps... »

1 Discours de Bugeaud à la Chambre, le 24 janvier 1845.

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