Mohand Aârav Bessaoud djurdjurakabylie

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Mohand Aârav Bessaoud

Histoire

préface

 

BESSAOUD Mohamed Arab

LE F. F. S. : ESPOIR ET TRAHISON

Je dédie ce livre

A toutes les femmes Kabyles violées par les soldats de Boumediene, à tous mes anciens Compagnons, qui ont refusé de se rallier.

Bessaoud Mohamed Arab.

Massinissa : «L'Afrique aux Africains.»

Le Prophète Mahomet : « J'aime mieux un Ethiopien musul­man qu'un Arabe athée.»

oMohand-Aârav Bessaoud

Ex-officier de l’ALN, militant de longue date du Mouvement national algérien et membre fondateur de l’Académie berbère, Agraw Imazighen, Bessaoud Mohand Aârav s’est éteint le premier janvier 2001, en début d’après-midi, dans un hôpital londonien, des suites d’une longue maladie. Agé de 78 ans, il est né en 1924 à Tagemmunt n Lejdid, dans la commune de At-Douala. Bessaoud Mohand Aârav a eu un parcours militant et politique aussi atypique qu’iconoclaste.

Des qualités (ou des défauts pour ses contradicteurs) qui font l’“épaisseur” psychologique de l’homme : entier dans ses prises de position qui ne sacrifient rien à la demi-mesure, ni au compromis, affichant tout haut par l’action et le verbe ce qu’il pense et ses convictions. Des convictions qu’il affichera du reste durant son action militante au sein du Mouvement national et dans les rangs de l’ALN où il obtient le grade d’officier et aussi dans une foisonnante littérature, alliant l’essai critique, les mémoires, le roman et la poésie. Imprégné de l’idéologie nationaliste et indépendante de l’Etoile Nord-Africaine (ENA), fondée en 1926 à Paris par un groupe de militants et syndicalistes kabyles (Imach Amar, Si Djillali, Aït Toudert, Bounoune, etc.) et admirateur d’Ali Laïmèche, nationaliste et auteur du célèbre poème Ekker a mmi-s Umazigh, attribué à tort à Ait Amrane Mohand Ou-Yidir, Bessaoud Mohand Aârav délaisse son métier d’instituteur et rejoindra les rangs de l’ALN, dès le déclenchement de la Guerre de Libération en 1954.

En janvier 1955, Krim Belkacem le nomme responsable des liaisons pour la Kabylie et il accède rapidement au grade d’officier. Il activera en Wilaya III (Kabylie) puis dans l’Algérois avant de partir au Maroc. Exilé en France, il crée en 1966, avec un groupe d’intellectuels dont le professeur Mohamed Arkoun, Taos Amrouche et de militants berbéristes, l’Académie berbère, association qui cristallisera les énergies militantes en faveur de la cause identitaire et contribuera à l’éclosion d’une conscience et à l’éveil revendicatif pour la reconnaissance de l’identité et la culture amazighes.

En 1978, les autorités françaises, pressées par Boumediene, contraignirent Bessaoud Mohand Aârav à quitter le territoire français. Il s’installera en Angleterre jusqu’à son retour au pays en 1997, après moult tentatives pour se faire délivrer un passeport. Refusé dans un premier temps, le statut d’ancien combattant lui sera finalement concédé, suite à la constitution d’un comité de soutien (Le CMAB ou Comité Mohand-Aârav Bessaoud. Atteint d’une maladie handicapante (le syndrome de Parkinson) Bessaoud Mohand Aârav fera des séjours répétés et prolongés à l’hôpital.

C’est à Londres, qu’il a rejoint dans le courant de l’été 2001, alors que la Kabylie brûle et des dizaines de jeunes Kabyles étaient déjà tombés, et que des centaines d’autres étaient handicapés, pour la plupart à vie, sous les balles d’une institution de la République Algérienne Démocratique et Populaire, la gendarmerie (voir Le printemps noir de Kabylie), pour des soins, qu’il s’est éteint en début d’après-midi du 1er janvier 2002. Il est enterré, à Aqawej, le 11 janvier, à la veille de Yennayer. Lors de son enterrement, et depuis la veille, des milliers de personnes de tous âges, ont tenu à lui rendre hommage.


AVANT-PROPOS

Mon petit livre, Heureux les martyrs qui nont rien vu, m'a valu beaucoup de sympa­thie et, cela va sans dire, la sollicitude (vous devinez laquelle) de nos gouvernants. Il était en effet très risqué de sortir des tiroirs de l'oubli les dossiers de la mort d'Amirouche et d'Ahane Ramdane. Il va donc de soi que je devais m'attendre à être visé par les puissantes personnes mises en cause et cela bien avant le 29 septembre 1963. Et je le fus. C'est dire que pour moi, l'insurrection de Mohand Oul Hadj, ce Mokrani en peau de lapin, fut la bienvenue. N'étant donc pas l'un des créateurs du F.F.S., ni l'une de ses créatures, je ne me sens que plus à l'aise pour en relater toutes les péripéties et dévoiler les desseins des uns et des autres pour en situer les responsabilités dans la trahison finale. Ce faisant, je n'ignore pas la levée de boucliers à laquelle je dois faire face. Mais ni les menaces ouvertes de Sadok, ni les sollicitations des uns, ni les pressions des autres ne me feront détourner de ce que je crois être mon devoir.

Par ailleurs, mes propos en ces pages ne manqueront pas encore de me valoir un grand nombre de critiques. « Mais enfin, me dira-t-on, jusqu'où veut aller votre berbérisme ? Tout de même, il n'y a pas que le sang des Kabyles qui coula inutilement hélas ! dans l'affaire F.F.S. ? Et le capitaine « Mousta­che » donc, mort en Willaya IV ? Et le colonel Chaabani ? Il eût mieux valu, par conséquent, donner au F.F.S. ses véritables dimensions plutôt que de l'enfermer dans les limites étroites de la Kabylie. Mais t'eût été vous priver derechef du plaisir de chanter les lou­anges des Kabyles. En vérité, la majorité des Algériens n'était-elle pas contre la dictature de Ben Bella, comme elle avait été contre les Lacoste et les Soustelle ?

Il est singulièrement étonnant de constater jusqu'à quel point les Arabes sont sensibilisés par le mot «berbère». Ils le sont tellement qu'ils voudraient, sans retard, nous dissoudre dans le marais putride de l'arabisme. C'est dans ce contexte qu'il faut placer les opéra­tions que l'A.N.P. (Armée Nationale Popu­laire) mena en Kabylie et les affirmations souventes fois répétées de Boumediene et de Ben Bella quant au caractère arabe de l'Algé­rie. Pourtant, il ne leur échappe pas que «l'Algérie est presque exclusivement peuplée de Berbères». (Aujourd'hui, on ignore généralement que le Maroc, l'Algérie et la Tunisie sont peuplés de Berbères que l'on qualifie AUDACIEUSEMENT d'Arabes - C.-A, Julien, Histoire de l'Afrique du Nord.) La chose est si vraie que les vieux militants du nationalisme algérien parlaient de « Arabo-Berbère ». Mon berbérisme puise donc sa subs­tance dans une réalité historique et ethnique indéniable et n'a rien d'outrancier comme on pourrait le croire. Il n'est qu'une cons­tatation judicieuse et une réplique à un arabisme agressif qui nie jusqu'à notre exis­tence même. Et dans ce sens, ce dernier n'agit pas autrement que les autres impérialismes.

D'autre part, je n'ignore pas que la totalité des Algériens est contre la dictature. Mais je sais aussi que seuls les Kabyles se sont dressés contre elle avec une réelle détermination. Cer­tes, il ne me serait pas venu à l'idée de contester à « Moustache » et à Chaabani, ainsi qu'à certains autres la part qu'ils ont prise à ce nouveau combat. Mais il me faut dire que je ne crois pas un seul instant qu'ils l'aient fait pour les mêmes raisons que nous ou que seulement ils aient pu le faire si les Kabyles ne leur avaient ouvert la voie, Ce ne sont pas deux Arabophones, mais des milliers qui tombèrent pour la libération du pays. Faut-il en conclure que notre guerre de libéra­tion n'a pas été au départ une guerre berbère ?

Qu'on n'oublie pas que c'est dans les Aurès, la Kabylie et les Beni-Snassen (région de Nédroma) qu'elle prit naissance en 1954. Le prix de la libération est si lourd pour les deux premières régions citées qu'il se traduit par 185.000 orphelins de guerre (86.000 pour le département de Tizi-Ouzou et 46.000 pour celui de Batna). Je doute fort que les autres régions d'Algérie puissent compter ensemble un même nombre d'orphelins. La Grande Kabylie, à elle seule, en a donc perdu : 88.000 + 32.000 = 120.000, soit 12,5 % de sa population totale.

 

Départements

Chouhadas[1]

Victimes civiles

Veuves de guerre

TIZI-OUZOU.

88.000

32.000

30.000

TLEMCEN

18.000

7.000

1.000

ORAN

29.000

13.000

7.000

Quant aux autres victimes de la guerre, le tableau ci-dessous démontre, s'il en est besoin, combien est lourd, par rapport aux autres départements algériens, le tribut que la Grande Kabylie paya pour la liberté de Ben Bella et de Boumediene, qui le lui ont bien payé de retour.

Les pertes russes, en vies humaines, durant la dernière guerre mondiale, qui s'élevaient à 20.000.000, se traduisent, en pourcentage, par 7,6 % seulement, tandis que les .500.000 Français morts en 1914 -1918 ne représentaient que 3,75 % de l'ensemble de la population française. L'on constate donc que si la Grande Kabylie était aussi peuplée que la Russie ou que la France, elle aurait perdu 32.500.000 morts au lieu de 20 millions et 5 millions au lieu de 1.500.000.

Reprenons les chiffres précédents.

Nous constatons que le nombre des victi­mes, civiles et militaires, pour les Départe­ments d'Oran et de Tlemcen, soit 67.000, dépasse à peine la MOITIE de celles que pleure la Grande Kabylie. Il ne serait donc pas exagéré de penser — faute de documents — que l'ensemble des pertes en vies humaines des Départements de Tlemcen et d'Oran, de Mostaganem et de Saïda, soit l'ancien Dépar­tement d'Oran, soit, à très peu de chose près, identique à celui que connut le seul Départe­ment de Tizi-Ouzou. Il est donc incontestable que les deux Kabylies réunies comptent plus de morts que l'ensemble de l'Ouest algérien.

Il va sans dire que je ne salue pas moins, avec vénération, la mémoire de toutes celles et de tous ceux qui sont tombés pour la libération du pays, comme celle de tous ceux et de toutes celles qui sont, par la suite, morts pour la liberté. Je ne peux cependant m'em­pêcher de constater que ni le colonel Chaabani, dont on connaissait les attaches, ni le com­mandant Moussa Hassani n'ont reconnu l'au­torité d'Aït Ahmed et, partant, leur apparte­nance au F.F.S., qu'ils se sont, au contraire, opposés au maintien de ce sigle et qu'ils ont préféré se soulever et combattre sous la ban­nière du C.N.D.R. si chère à Monsieur Bou­diaf. Cela est d'autant plus vrai que les tracts diffusés par Hassani ramenaient le début de l'insurrection dans le Constantinois, l'Oranie (sic) et la Kabylie (resic) au 6 juillet 1964, omettant ainsi volontairement le 29 septembre 1963. L'escamotage de cette dernière date, que l'histoire a pourtant enregistrée, pouvait-il avoir d'autres buts que de diminuer le rôle des Kabyles dans la lutte contre la dictature ? Ainsi, il se vérifie amplement que, pour nos Arabophones, l'histoire de notre pays com­mence toujours avec eux. Leur manière de glorifier Abdelkader et d'oublier Youghourta, d'ignorer la résistance de Koceïla et de la Kahina n'en est-elle pas une preuve frappan­te ? Nous sommes réduits, et dans notre propre pays, à répéter à nous-mêmes et aux autres, pour prouver notre originalité : « Nous som­mes des Berbères, nous sommes des Berbè­res ».

Et s'il est vrai que nous pourrions utiliser des moyens plus efficaces pour attester notre existence, si tant est que cela se justifie, pour ma part, la seule arme dont je dispose est celle que j'emploie pour le moment. Ce faisant, je ne pense pas me limiter à la défense de l'eth­nie à laquelle j'appartiens. Au contraire, j'ai le sentiment très net de participer, et de la meilleure manière, à la sauvegarde de la per­sonnalité du peuple algérien tout entier.

En effet, quand un homme se présente comme Chaoui, Mzabi, Targui, Mnasri ou comme Kabyle, on sait tout de suite qu'en plus de sa qualité de Berbère, il est Algérien. Mais quand un autre homme s'affirme « Arabe », on n'est pas aussi fixé. C'est pourquoi on se voit obligé de lui poser cette question : « Ara­be ? Oui, mais de quel pays ? ».

L'Algérie ne se caractérise donc en tant que telle que parce qu'elle est berbère. Par conséquent, il n'est pas exagéré de dire que les régions berbérophones d'Algérie sont les noyaux centraux de la nation du même nom.

Quand donc monsieur Boudiaf déclare que « la Kabylie sera toujours un danger à l'unité nationale », je veux croire qu'il souligne par là le refus obstiné des Kabyles de se dissoudre dans la mare grenouillante de l'arabisme. Mais quand d'autres individus prétendent que, pour briser le particularisme Kabyle. il faut vider la Kabylie de tous ses habitants qu'on dissé­minerait ailleurs pour faciliter leur arabisa­tion, je ne peux m'empêcher de crier à leur adresse : « Prenez vos flûtes et regagnez l'Arabie, berceau de vos ancêtres ».

Je dois dire que ces positions ne me sur­prennent ni ne me dérangent quand, bien entendu, ceux qui les adoptent sont des Arabes avérés. Ces derniers ne font alors que perpé­tuer un esprit de domination qui remonte très haut dans le temps. Ce qui, en revanche, suscite mon ire, c'est quand un Berbérophone vitupère contre les siens. Un de ces naturalisés me disait un jour :

Que vous le vouliez ou non, la Kabylie est arabe par sa culture et sa civilisation.

Qu'entendez-vous par culture ? N'est-ce pas un ensemble de connaissances acquises et exprimées dans une langue donnée ?

Oui.

Dans ce cas, permettez-moi de vous dire que les Kabyles ont leur culture et une civili­sation propres. Certes, nous ne nous connais­sons pas de savants en science, mais nos aèdes, nos conteurs, rivalisent avec leurs homologues arabes. Plus près de nous, les chanteurs kaby­les, tel Slimane Azem, s'élèvent au-dessus des chansonniers sans relief de la langue arabe. S'il est vrai que la musique fait partie de la culture, vous admettrez, monsieur, que les musiques arabe et berbère sont à l'opposé l'une de l'autre. Malheureusement, notre culture berbère a le désavantage d'être orale et non écrite. Et cela vous a suffi pour la nier, rejoi­gnant en cela nos gouvernants actuels qui proscrivent le Berbère chez lui, alors qu'on l'enseigne à Londres et à Paris, à Philadel­phie et à Berlin. Vous reconnaîtrez cependant, si vous êtes de bonne foi, que les alphabets sont oeuvre humaine et non un don de la nature. Les Berbères, tout comme les Arabes, pourraient en établir un, à supposer qu'ils n'en aient jamais eu. Il suffirait, pour cela, que soit créée une commission groupant des représentants de toutes les familles linguisti­ques berbères pour que nous soit donné cet outil qui nous manque. Les Turcs ne nous ont-ils pas d'ailleurs fourni la preuve de ce que l'on peut faii-e dans ce domaine ? Quant à la civilisation musulmane, elle n'est plus qu'un sujet d'études pour les orientalistes, une borne sur la route de l'histoire universelle. Elle est morte, Monsieur, comme toutes celles qui ont existé avant elle. Même l'enseignement qu'on en donne dans les Facultés du Caire ou de Bagdad s'inscrit dans le contexte des nouvelles connaissances. Les pensées d'Avicenne ou d'Averroès ne règnent plus sur l'esprit du savoir humain. Encore faut-il préciser qu'Avicenne n'est pas plus Arabe que le Shah d'Iran ou que les Berbères Tarik et Ibn Khaldoun.

Que vous le vouliez ou non, mon cher Monsieur, les Arabes comme les Berbères, les Chinois comme les Egyptiens, vivent à l'heure d'une nouvelle civilisation. A moins que, pour vous, la pérennité d'une langue soit un signe suffisant pour caractériser une civilisation et pour classer, dans la même ethnie, tous ceux qui la parlent ? Dans ce cas Mouloud Mammeri et Mohammed Dib, Mouloud Fera­oun et Mustapha Lacheraf sont des Français. Je termine, Monsieur, en vous rappelant que l'art rupestre du Hoggar n'a pas été importé de cette Arabie où, à l'orée de l'histoire, on se complaisait plus dans les razzias que dans les oeuvres artistiques.

N'oubliez pas, me dit alors mon inter­locuteur, que les Kabyles sont une minorité en Algérie...

Comme le sont les Indiens en Amérique. Pensez-vous donc employer contre nous les méthodes qui ont fait leurs preuves contre les Cheyennes ? Songez pourtant que la quasi-totalité des Arabophones d'Afrique du Nord sont d'ascendance berbère. Mais, puisque pour vous, les notions de majorité et de minorité linguistiques déterminent l'identité d'une nation, que pensez-vous donc du Maroc où les Berbérophones sont majoritaires ? Ne croyez-vous pas qu'il est grand temps pour ces derniers de berbériser le reste de leurs compa­triotes, ou plutôt de les reberbériser ? En tout cas, pour nous, Berbères, le « Maghreb Arabe » ressemble étrangement à « l'Afrique Française du Nord » que nous étions presque les seuls à combattre. Car des Aurès au Rif, en passant par le Djurdjura, la France a trouvé en nous de rudes adversaires. C'est à Arris et à Foum Toub, à Aknoul et à Boured, à Sidi Mi Bou-Nab, à Akfadou et dans la vallée de la Soummam que s'est joué le destin de la France en Berbérie. Mais alors que nous avions cru pouvoir être libres après cela, force nous est de constater que nous avons seulement réussi à sortir de sa bouteille opaque le démon de l'impérialisme arabe qui veut encore aujour­d'hui nous accommoder à sa sauce.

Tout ça, c'est un faux problème ! Ce qui importe avant tout, c'est de sortir l'Algérie de son sous-développement, en d'autres ter­mes, de l'amener à se suffire à elle-même.

Je n'ignore pas que, pour donner à notre peuple la possibilité de mieux vivre, il faille opter pour un système politico-économi­que défini. Mais croyez-vous vraiment que, dès l'instant où les Algériens auront du pain en abondance, ils cesseront d'être des Arabes ou des Berbères ? Mao Tsé-Toung est commu­niste, mais il est d'abord Chinois. Avant donc de nous apparenter à l'un des clans qui agitent le monde, il importe de donner à notre pays sa carte d'identité internationale. Il serait absurde de croire que nos martyrs se sont sacrifiés pour que notre pays soit socialiste ou capitaliste. Ce serait injurier la mémoire d’Ali Boumendjel, du jeune Docteur Issad, du Cheikh Larbi Tebessi et celle de tant de mil­liers d'autres. Par ailleurs, si grande que soit votre vision de l'avenir, l'Algérie ne peut avoir de meilleures assises économiques que celles contenues dans le plan de Constantine. Mais nous nous sommes refusé à entrer dans la famille française qui nous offrait d'indé­niables avantages matériels. Devrions-nous accepter que notre pays soit arabe avec tous les inconvénients et toutes les tares que cela entraîne ?

Sans tomber dans votre berbérisme outrancier, il est possible de concevoir une Algérie algérienne.

A la bonne heure ! Mais puis-je savoir quelle sera la langue nationale de « votre Algérie algérienne » et quel sort y réservez-vous à la langue berbère ? Car je suppose que vous n'êtes pas de ceux qui considèrent le berbère comme un patois, un dialecte ?

« La langue berbère est une vraie langue, elle reflète une civilisation, un passé, une histoire, On a dit qu'il y a quatre dialectes berbères, c'est faux. C'est la même langue, il y a juste une différence de prononciation, selon les régions. En Conseil des Ministres, dernièrement, j'ai demandé l'enseignement de la langue berbère. Les Berbères sont ici chez eux. Vous n'avez qu'à aller à 15 km de Rabat, dans la tribu des Zemmours, si vous demandez à un berger votre chemin en arabe, il ne peut vous répondre.

« L'idéal serait que le Berbère soit mis à la portée des Marocains, ne serait-ce que sur le plan de la gestion, de la justice, de l'admi­nistration. Il est inconcevable qu'un Caïd ne sache pas le berbère et soit obligé d'engager un interprète pour se faire comprendre. Il est inconcevable qu'un Cadi rende la justice en se fondant sur la traduction d'un chaouch. Je ne veux pas que le berbère disparaisse. C'est un élément de base qu'il faut comprendre...

... Le Maroc a une richesse nationale qui est d'essence berbère, son ossature est berbère, sa personnalité, sa culture sont berbères : il faut en garder l'essentiel. Vous aimez le festi­val de folklore de Marrakech ? Eh bien, enlevez. Lui la langue berbère et il n'y a plus de festival. Le monde maintenant perd sa personnalité, tous les pays se ressemblent. Est-ce à cela que l'on veut aboutir ? Pour ma part, je ne trouve pas que ce soit souhaitable. Il ne faut pas que les Berbères soient éliminés, ils constituent la majorité de la population... » (Mahdjoubi Ahardane - Interview à Jeune Afrique.)

En vérité, tout ça, je vous le redis, c'est un faux problème.

Etre ou ne pas être, c'est là, dit-on, toute la question. Et pour vous ce n'est qu'un faux problème. Souffririez-vous que je vous fasse cette confidence ? « A partir de ce jour, j'ai décidé que la lune n'existe plus, parce que c'est « une fausse lune » !

Il y a aussi des gens, comme cet ignare de Mohammedi Saïd, qui confondent « Isla­misme » avec « Arabisme ». Les Kabyles refusent-ils d'être des Arabes ? Alors ils ne sont pas des Musulmans ! Et en avant pour la guerre sainte !

C'est sans doute pour achever l'oeuvre civilisatrice des Béni Hillal que la Kabylie a été mise à feu et à sang par les combattants du Colonel Boumediene. Que d'encercle­ments ! Que de ratissages ! Des milliers de personnes, sans distinction de sexe ni d'âge, ont été arrêtées et torturées et, chose plus grave encore, humiliées. Même le portrait du Colonel Amirouche, auquel les Kabyles vouent un culte particulier, n'échappa pas au vanda­lisme destructeur des soldats de l'A.N.P., montrant par-là que, même après l'avoir fait tuer, Boumediene reste hostile à la mémoire du prestigieux chef Kabyle.

Les faits établissent donc qu'à travers la lutte contre les maquis F.F.S., c'était l'anni­hilation systématique de la personnalité kabyle qui était recherchée, et qui le sera toujours si les Kabyles ne prennent conscience du danger qui les menace. Les fouilles et les encercle­ments auxquels l'armée arabe procéda ne découlèrent-ils pas de cet esprit ? Sinon com­ment pourrait-on expliquer les bris de portes, les insultes grossières et les viols des femmes de martyrs ? Dans mon propre village, soixante-dix portes ont été brisées en une nuit et vingt-cinq femmes violées, dont une fillette de treize ans. Durant dix-huit mois, les vols, les viols, les fusillades, les assassinats, les tortures furent, pour les Kabyles, le lot de chaque jour. C'est sans doute pour « islami­ser » Madame A... que les soldats de l'A.N.P. lui enlevèrent la paire de draps sur laquelle elle était couchée. Ce qui motiva cette réfle­xion de l'une de mes tantes : « Aux temps où nous subissions les assauts ignominieux des soldats de Lacoste, nous réclamions dans nos cris, l'aide des musulmans, nos frères en Dieu. Mais maintenant que ce sont ces derniers qui nous assaillent, devons-nous implorer le secours des « Iroumiènes » ?

Les tenants du pouvoir en Algérie ont-ils jamais pensé qu'ils doivent aux Kabyles, et à eux seuls, d'être libres aujourd'hui ? Imagi­nent-ils ce qu'ils seraient encore actuellement si les dirigeants Kabyles avaient accepté, en 1958, l'offre de de Gaulle de négocier l'indé­pendance de la Kabylie ? Nul doute que la France serait encore présente en Algérie et que l'Etat-Major de Ghardimaou serait resté ce qu'il n'aurait jamais cessé d'être : une association de malfaiteurs.

La pratique de ces méthodes que le monde entier réprouva en d'autres temps et qui laissa muettes, en celui-ci, toutes les voix les plus fortes d'Algérie, n'était donc pas motivée par le souci d'islamiser les habitants de la Kabylie (ils sont déjà musulmans) mais par celui de leur apprendre le nouveau credo politique de Gainai Abdel Nasser : «L'unité Arabe». C'est sans doute pour nous inculquer une telle vérité que le royaume de Koukou fut soumis à toutes les tortures et à tous les crimes. Ce fut ainsi qu'à Larbâa des Ouacifs, l'A.N.P. tira sur la foule un jour de foire, pour venger un gendarme victime d'un atten­tat. Bilan : 8 morts et 28 blessés. Quant à la torture, si elle n'était plus l'objet d'un raffine­ment, elle était devenue l'expression d'une sauvagerie. Quelques exemples suffiront à convaincre les incrédules.

Un de mes jeunes contribues, dont je tais le nom, se trouva en possession de mon petit livre Heureux les Martyrs qui n'ont rien vu. Sur dénonciation, on l'arrêta, on le tortura et on le relâcha 55 jours plus tard. Durant ce temps, il avait maigri de 34 kg, soit, en moyenne, de 600 g par jour. Il fut encore plus heureux que cet autre qui maigrit de 17 kg en 17 jours, battant le record détenu par les anciens déportés des camps hitlériens.

Un autre de mes contribues, Monsieur Yadel Chabane, labourait paisiblement son champ quand survint une patrouille de l'A N.P

Avez-vous vu des fellagas, lui demanda-t-on ?

Les « fellagas » ? J'ai déjà entendu ce mot quelque part. Il me semble néanmoins qu'il n'avait pas été prononcé par des hom­mes qui parlaient votre langue ou qui avaient votre teint.

A cette réplique « subversive », Monsieur Yadel joignait l'immense tort de porter des pataugas, un crime de lèse-armée en quelque sorte. H fut donc arabisé, c'est le cas de le dire, sur le champ. Les testicules broyés entre deux cailloux (les Arabes de l'A.N.P. dési­gnent cette torture sous le nom de « pois‑chiches ») le vieil homme — il avait 62 ans ­mourut une semaine plus tard, non sans avoir souffert le martyre, laissant une veuve et trois fillettes absolument sans ressources.

Au village d'Aït Ouabane, des gosses s'adonnaient à leurs jeux habituels quand sur­vint un détachement de l'A.N.P.

N'as-tu pas vu les Moudjahidines (en l'occurrence des combattants du F.F.S.) ? demanda-t-on au plus grand de ces enfants.

 Bien sûr que si, répondit ce dernier. Je sais même où ils reposent.

Mors, lui dit-on, indique-nous le lieu de leur repos.

D'un pas tranquille l'enfant conduisit le détachement vers l'ossuaire où reposent les restes de quelque 78 combattants de tous d'Aït Ouabane, tombés au champ d'hon­neur.

Tenez, les voilà ! dit-il malicieusement.

Sale petit Kabyle ! Il ne s'agit pas de ces harkis, mais des autres, ceux du F.F.S.

On aurait tort d'attribuer les larmes du gosse aux coups qu'il reçut. Il pleura parce qu'au milieu de ces « harkis » tombés pour la patrie, figurent les restes de son père.

Je ne saurais épuiser ces quelques exem­ples sans dire un mot du boa du centre péni­tencier de Notre-Dame d'Afrique. Ce reptile est, sans conteste, une bête dressée. Diable ! Il lui faut gagner son lapin ! Enfermé dans une caisse, on ne l'en libérait qu'aux moments opportuns. Alors il faisait montre d'une science, j'oserais même dire d'un sadisme raffiné. En effet, avec toute la nonchalance dont il est capable, il s'approchait du suspect qu'on avait précédemment ligoté à un piquet au milieu d'une cellule et s'y enroulait pour finalement serrer, serré. Ceux qui ont échap­pé à la folie après cette torture restent durant de longs mois l'objet d'une hantise qui leur fait pousser d'effroyables hurlements.

Et n'allez pas croire que ces pratiques étaient ignorées en haut lieu. Elles étaient même recommandées, parce qu'il paraît que la R.A.D.I.P. (République Algérienne, Démo­cratique, Islamique et Populaire) en ayant pris l'habitude, il ne faudrait pas l'en priver d'un seul coup de peur d'attenter à sa santé morale Boumaza lui-même aurait assisté à « l'interrogatoire » d'un haut fonctionnaire du ministère des finances, tandis que l'inof­fensif Ben Bella ordonnait de torturer les gens qui en « savaient long » comme Rachid Ali Yahia. Le brave Ali Zamoun lui-même assista à la torture de Gadi Méziane au temps où la première cité était encore préfet de Tizi-Ouzou.

Quand donc, cher « Canard Enchaîné » la Gangrène » atteint les sommets du corps de l'Etat, on ne peut pas poser de « Questions ».

Messieurs Boumendjel et Mohammedi, vous étiez certainement au courant de ces méthodes prohibées par l'Islam et qui violaient « votre » constitution unique au monde puis­qu'elle proscrivait la torture ? Pourquoi donc ne vous êtes-vous pas élevés contre la barbarie dont fut victime la Kabylie ? Auriez-vous oublié, Monsieur Mohammedi, que les femmes violées, torturées par les soldats de Boumediene étaient celles-là mêmes qui vous ravitaillaient pendant votre présence au maquis ? Ignoriez-vous donc que pendant que vous égreniez votre chapelet et appeliez la bénédiction divine sur Ben Bella, des bébés de quelques mois vivaient dans des cellules humides avec leurs mères ? Pour vous, Messieurs, l'arabisme avait du bon et les questions de dignité et de liberté si chères aux Kabyles ne vous dérangeaient guère dans vos méditations et vos prières. Mais puisque vous êtes plus arabes que le prophète Mohammed (que le salut soit sur lui) qui a pourtant refusé d'établir une différence raciale entre les Musulmans, je vous conseille, conformément à la politique Nassérienne, de lever des volontaires contre le Pakistan, l'Iran et la Turquie, pour ne citer que ceux-là, afin de les obliger à embrasser l'arabisme, cette nouvelle reli­gion du pharaon du Caire.

Bon Djihad, Messieurs les ex-Ministres.

B.M.A.

LA COMPLAINTE DE L'ENFANT D'AIT OUAVANE

Un soir, en rentrant de classe,

L'ardoise pendue à mon cou,

Je vis que notre fusil de chasse

N'était pas accroché au clou,

Je pensais à ces étourneaux

Et à ces voraces grives

Qui s'abattaient sur nos olives,

Que le temps fût mauvais ou beau.

Ma pauvre mère, triste à mourir,

Eluda mes naïves questions,

Et quoi qu'elle ne sût jamais lire,

Elle voulut voir mes additions.

La nuit tomba et je dormis,

Et toi toujours tu ne vins pas

Je pris ta place dans ton fit Espérant ton retour, papa.

« Il est pénible de combattre, par exigence d'esprit, ce que d'autres ne combattent que par indigence de coeur. »

Jean Rostand.

PREMIERE PARTIE

Des discussions ont eu lieu entre le F.F.S. et le F.L.N., Considérant que l'unité nationale est le souci majeur de tous les Algériens et que l'intérêt de l'Algérie exige la mobilisation de toutes les forces » (c'est bien la première fois qu'on retrouve, dans le langage « révolu­tionnaire » de monsieur Ait Ahmed, le mot forces » séparé de ses qualificatifs habituels, à savoir « saines » et « malsaines », « d'avant-gardes » et « rétrogrades », « progressistes » et « réactionnaires », etc..., etc.) « En vue de consolider les conquêtes de la révolution (!) Un accord a été réalisé pour mettre fin à la lutte armée.

« Ces décisions entreront en vigueur le 16-6-65. »

Ce communiqué publié par le F.F.S. ou, du moins, par ses principaux dirigeants, appelle, me semble-t-il, un ensemble de remar­ques et de questions. Que faut-il entendre par consolider les conquêtes de la révolution » ? Devrions-nous comprendre que l'indépendan­ce du pays était menacée ? Ou bien ne serait-il pas juste de penser aux comités de gestion, aux nationalisations, à la démagogie, à la répres­sion, à la corruption, à la mystification ? Le doute ne persista plus sur ce point puisque, deux jours après la publication de ce commu­niqué, Ben Bella affirma avec force « que le pouvoir légal ne discute pas avec les égarés ». En d'autres termes, les dirigeants du F.F.S. ne peuvent nullement se prévaloir de concessions politiques obtenues du « pouvoir légal » pour justifier leur ralliement. On est donc en droit de se demander pourquoi ces mêmes dirigeants appelèrent la population à la révolte contre la politique de clan », « la dictature », le régime policier », la « démagogie » etc... Etc., devenus soudain « les conquêtes de la révolution » ? On se demande également pour­quoi ces Messieurs du F.F.S. attendirent que la Kabylie fût mise à feu et à sang avant de procéder à la « consolidation de ces conquê­tes » ? Pourquoi encore Aït Ahmed et Sadok ne se rallièrent-ils pas à Ben Bella en même temps que Mohand Oul Hadj pour « aller au secours de la patrie en danger » ? Ne serait-ce point pour juguler le « séparatisme » de nos compagnons morts dans les maquis F.F.S. que les deux principaux dirigeants de ce parti prolongèrent des combats qui n'ont pas porté atteinte « à l'Unité Nationale si chère à tous les Algériens » ? A moins que ce ne fût tout simplement pour déjouer le «complot perma­nent de Boudiaf» ?

Dans le dernier cas, j'imagine mal un pompier déjouant les intentions cachées d'un pyromane — d'un pyromane en détention ­en allumant des incendies. Dans le premier, je refuse d'insulter la mémoire d'Aït Medri Belaïd, de Timzit Tahar, de Si Mohand Amokrane, de Kaci Mohand, le jeune et talentueux maire de Michelet, de Moh Aou­vane, en un mot de tous nos camarades tombés au champ d'honneur dans les rangs du F.F.S., en leur prêtant des intentions qu'ils n'avaient jamais eues. Je me refuse également à croire qu'ils aient voulu, en 1962, empêcher tout accord entre Ben Bella et Ait Ahmed et que leur sang était nécessaire pour cimenter l'unité nationale. Pourquoi d'ailleurs les deux princi­paux leaders du F.F.S. ont-ils si obstinément écarté toute idée de négociation, pour finale­ment discuter (!) avec le pouvoir des moyens propres à mettre fin à la lutte armée ? Car il est hors de doute que le régime de Ben Bella ne pouvait être, pour Aït Ahmed surtout, un pôle d'attraction ni même une période tran­sitoire. Il convient à cet effet de citer, in-extenso, la conférence de presse[2] que le leader malgré lui du F.F.S. tint au maquis le 6 juillet 1964 :

QUESTION. — Au lendemain des déclara­tions de M. Khider, de la rébellion du Colonel Chaabani, du discours de M. Ben Bella, la situation nous paraît, à nous observateurs étrangers, d'une extrême confusion.

REPONSE. — La situation n'est pas con­fuse du tout, elle est au contraire extrêmement claire, la démystification est maintenant totale. D'un côté, il y a le régime avec ce qui reste des appareils répressifs et avec sa propagande hystérique, de l'autre, le Peuple Algérien avec ses forces d'avant-garde se regroupe dans le feu de la résistance armée. Un réflexe national digne des plus grands sursauts de notre histoire a galvanisé tous les Algériens et Algériennes dignes de la Révolution.

Devant le précipice, devant le danger suprême, le pays tout entier s'est retrouvé debout d'instinct. Dans ce contexte global il faut situer les diverses prises de position dont vous parlez. En effet, qu'il s'agisse de Khider, de Boudiaf ou du Colonel Chaabani — je dis bien du Colonel et non l'ex-colonel, tout comme je puis dire que Ben Bella ne sera bientôt plus que l'ex-président de la Républi­que Algérienne — leurs positions traduisent et précipitent la dégringolade du régime anti­populaire et anti - démocratique. Quant au discours de Ben Bella, la fausseté, la pusilla­nimité et la vulgarité du personnage sont main­tenant assez familières pour que l'on prenne la peine d'y revenir.

Tous les vocabulaires et tous les parfums marxistes du inonde ne peuvent laver la honte du pouvoir. Nous avons eu le sentiment, quant à nous, en entendant hier le discours de Ben Bella qu'il faisait ses adieux au Forum.

QUESTION — M. Khider a affirmé au cours de sa conférence de presse que l'opposi­tion était unie. En tant que leader du F.F.S., pouvez-vous situer votre mouvement dans ce nouveau regroupement ?

REPONSE, — Je voudrais d'abord qu'il soit clairement entendu que je ne suis pas le leader du F.F.S, et que le F.F.S. n'a pas de leader, le F.F.S. est dirigé par une Djemâa Nationale Provisoire qui concrétise les principes de la direction collégiale[3].

La Révolution ayant été trahie, les masses démobilisées et désespérées, les cadres les plus éprouvés divisés et désorientés, il importe de situer historiquement le rôle du F.F.S. dans le processus de redressement de la Révolution. Le F.F, S. a pu et a su amorcer dans la résis­tance armée au pouvoir fasciste et en dehors des féodalités politiques, la remobilisation de la paysannerie déshéritée des montagnes ainsi que le regroupement des avant-gardes révolu­tionnaires. Les masses ont déjà retrouvé le moral du temps de la guerre de libération, le raz-de-marée de la Révolution populaire a repris sa marche. Paysans, paysannes, hom­mes, femmes et enfants, s'empressent aujour­d'hui autour des partisans du F.F.S., assurant spontanément toutes les tâches d'intendance et de renseignements. D'autre part, la fusion des avant-gardes, qui est maintenant une réalité, officiers de l'A.L.N., militants du F.L.N. du temps de guerre en France et en Algérie, syndicalistes de base ont retrouvé leur rôle de révolutionnaires et leur unité dans la lutte antifasciste au service des masses dés­héritées. L'encadrement de la révolution popu­laire s'est reconstitué, le Peuple a retrouvé ses mêmes cadres, il a su apprécier leur fidélité. Il leur redonne aujourd'hui sa confiance.

Dans ces régions, la symbiose est née entre le peuple et son avant-garde révolutionnaire. C'est cela le triomphe du Front des Forces Socialistes : l'enthousiasme est revenu. J'es­père que vous constaterez par vous-mêmes d'après ce que les paysans appellent déjà la cc Deuxième Indépendance ».

Le Front des Forces Socialistes a amorcé le processus de redressement de la Révolution en revenant aux sources vers la paysannerie pauvre et les masses opprimées. La contagion jouant rapidement, les périodes glorieuses de notre Histoire étant caractérisées par le phé­nomène de réaction en chaîne, le Front des Forces Socialistes a pu, en moins de deux mois, mettre sur pied à Djidjelli, à Collo et dans les Aurès, les premiers jalons organiques de la contagion révolutionnaire, sans oublier que dans le massif blidéen le mouvement est déjà solidement implanté. Il s'agit aujourd'hui à travers des alliances tactiques :

1°de redonner la parole aux régions les plus déshéritées et qui ont été les plus méri­toires pendant la Révolution ;

2°de remettre au service des masses oppri­mées une avant-garde révolutionnaire, garante de leurs aspirations et de la stabilité politique.

C'est dans cette perspective que nous concevons l'union de l'opposition et que nous la concevons sans exclusive.

QUESTION. — MI Ben Bella vous a accusé hier d'être en contact avec l'étranger. Il a précisé qu'il disposait de documents écrits de votre main.

REPONSE, — Il y a assez longtemps qu'il en parle, mais qu'attend-il pour publier ces documents ? Je le mets au défi de les publier. Il en a bien besoin, pourtant, ne serait-ce que pour faire admettre à l'opinion algérienne, qui en est indignée, les pratiques déshonoran­tes de mendicité internationale.

Voyez-vous, les clichés de Ben Bella rap­pellent les propos d'un clochard, sans queue ni tête. Ils amusent et c'est tout. Il y a beau­coup à dire sur la clochardisation du Régime. Il faut être désœuvré complètement pour avoir le temps de répondre aux accusations de Ben Bella. D'ailleurs, il se répond à lui-même à force de se contredire.

QUESTION — M. Ben Bella vous accuse d'avoir fait tirer sur des ouvriers et d'utiliser la violence ?

REPONSE. — Le Front des Forces Socia­listes est né de l'échec de toutes les tentatives pacifiques faites au sein du système pour sortir le régime de l'impasse totalitaire dans laquelle la politique des clans l'avait engagé. La violence est d'abord dans la nature du Pou­voir. Elle se manifeste dans ses fondements les plus essentiels : délation, coercition, arbi­traire, capitalisme de clans, régime and-populaire et anti-démocratique. Contre ce pouvoir, arrivé à son point de structuration, c'est-à-dire à son point de non-retour, seule l'action directe pouvait guider le peuple, l'arracher à la terreur policière et l'engager résolument dans la lutte antifasciste de redressement de la révolution. Notre action a été principalement dirigée contre neuf mem­bres locaux du néo-F.L.N. parce qu'ils orga­nisaient des milices armées à Tizi-Rached, de ce fait préparaient leur abominable guerre civile. Nous savons qu'Hitler et Mussolini ont utilisé malheureusement des ouvriers pour asseoir leur autorité dictatoriale. Les marxistes de service auront à rendre des comptes pour avoir abusé des militants et des ouvriers, perpétré la division et la mystification. Notre action contre-terroriste, quant à elle, est une action de protection des masses, d'élimination des germes de guerre civile. Quant aux métho­des répressives du Pouvoir, Ben Bella se garde bien d'en parler, nous sommes bel et bien revenus aux temps les plus noirs de la Pacifica­tion, au règne des Paras et de la dynamo. L'A.N.P. tire sur les civils, l'A.N.P. torture, l'A.N.P. vole, l'A.N.P. organise le banditis­me, c'est là une réalité de tous les jours que nous vivons dans le Djurdjura et dans la vallée de la Soummam. Voici comment, par exemple, Kaci, l'ancien maire de Michelet, a été tué le 29 juin dernier. 60 camions ramenèrent des troupes de l'A.N.P. qui encerclèrent le secteur où se trouvait le jeune et regretté maire de Michelet. Retranchés dans la forêt. les Parti­sans se défendirent vaillamment pendant 48 heures. Plus de 40 soldats de Boumediene furent tués. L'A.N.P. se rua alors sur les villages avoisinants, poussant la population : vieillards, femmes et enfants vers la forêt, pour s'en faire le bouclier. C'est un miracle que nos partisans purent éviter le massacre de la population. Kaci, à bout de munitions, se battit à l'arme blanche et fut blessé, puis achevé par strangulation par l'A.N.P., tel est le rôle de l'A.N.P. Quant au châtiment dont M. Ben Bella me menace, il y a bien plus de cinq mois que l'A.N.P. et toutes les forces de police ont reçu l'ordre de m'abattre partout où elles croient déceler ma présence, elles tirent sur tout ce qui bouge. On retrouve chez les hommes du régime, les mêmes structures mentales, le même raisonnement que les hommes du « socialiste Lacoste ». Ben Bella pense tuer un mouvement en tuant un homme, eh bien ! la chute du pouvoir néo-fasciste est devenue aujourd'hui l'affaire de tout le peuple algérien ; d'ailleurs les officiers de l'A.N.P., pour la plupart issus de l'Armée française, s'en rendent bien compte devant le véritable mur de silence que même les enfants opposent à leurs questions — mentalité colonialiste : ils croient insulter la population en lui disant : « vous êtes tous les mêmes » — c'est l'évi­dence, le régime est totalement coupé de la Nation, cet arbre étranger qu'est le néo-fasciste a perdu ses racines avec la répres­sion collective, il ne tardera pas à succomber.

QUESTION. — M. Aït Ahmed, avant ces événements, l'A.N.P. constituait déjà la seule force organisée en Algérie, ne pensez-vous pas qu'elle va ressortir renforcée de cette épreuve et qu'en l'absence d'assises populaires, I' A.N P finirait par imposer un régime militaire ?

REPONSE. — Bien au contraire, nous assistons à la désintégration de l'A.N.P. La déviation de l'A.N.P. en armée de mercenaires dirigée par les ex-officiers de l'Armée française était jusqu'ici camouflée par le slogan officiel du Commissariat politique, aujourd'hui, elle a éclaté au grand jour. Sous la pression de notre combat la démystification s'accélère, les anciens djounouds et officiers de l'A.L.N. abandonnent l'A.N.P. Les prisons militaires regorgent de soldats, de maquisards qui ont présenté leur démission et refusent de sortir en opérations. Venus d'Oranie, deux bataillons ont refusé de prendre le 'train à Maison-Carrée pour la Kabylie ; les officiers les avaient trompés en leur annonçant qu'ils allaient rester à Alger. Les arrestations se multiplient en raison des opérations collectives et de l'incorporation de jeunes recrues pour la plu­part des voyous, qui se sont engagés pour voler et violer impunément. La lutte du Front des Forces Socialistes a déchiré le voile de l'impos­ture A N .P, de l' « Armée au service du Peuple ». Aujourd'hui, l'uniforme de l' A. N .P. n'inspire plus que la terreur et la haine.

QUESTION. — M. Ait Ahmed, vous semblez très optimiste, mais, nous observa­teurs, nous ne voyons pas très bien commuent se dénouera la crise ? Comment vous envisagez le changement du régime ?

REPONSE. — Nous envisageons la chute du régime en deux phases :

Première phase : Le couper de l'arrière-pays, c'est-à-dire des masses rurales qui ont été le bastion du mouvement insurrectionnel tout au long de notre histoire. Nous nous employons à organiser dans chaque massif des structures organiques d'accueil à la contagion révolutionnaire. Comme pendant la guerre de libération, la petite paysannerie, la paysan­nerie sans terre, constitue un potentiel de lutte inépuisable.

Les mots d'ordre du Front des Forces Socialistes de redistribution des terres aux plus déshérités et aux plus méritoires des paysans répondent aux aspirations plus que millénaires de nos montagnards et les mobilisent d'autant plus contre le pouvoir d'Alger que celui-ci les a complètement ignorés et abandonnés.

Deuxième phase : La chute d’Alger : il faut connaître le contexte sociologique de la capitale pour s'expliquer le rôle joué par Alger-Ville pendant la guerre de libération. Alger est l'appendice de l'arrière-pays ; tout ce qui se passe en Kabylie. à Djidjelli ou dans l'Atlas blidéen a des répercussions immédiates dans Alger. Nous savons que nous sommes handicapés par exemple par la faiblesse de nos moyens d'information mais rien n'est ignoré à Alger de ce qui se passe dans l'arrière-pays et vice-versa. Comme pendant la guerre, la fièvre est montée à Alger du fait des nou­velles dramatiques qui parviennent des crêtes, où chacun a un parent, un ami, un ancien compagnon de lutte, de maquis ou de prison. De plus, le pourrissement d'Alger sera l'oeuvre de la répression collective et de la terreur néofasciste à Alger même.

 

ALGER TOMBERA BIENTOT COMME UN FRUIT MUR CET ETE.

 

QUESTION. — Les autorités algériennes affirment que votre organisation est démantelée à Alger, qu'elles ont arrêté les auteurs de l'attentat contre la villa Joly...

REPONSE. — C'est absolument faux. Notre organisation se renforce, nos comman­dos se réorganisent en fonction du nouveau dispositif néo-fasciste d'enrégimentassions de la population d'Alger. Quant aux militants qui ont tiré sur la villa Joly, je vous affirme qu'ils sont en sécurité, je vous affirme qu'ils sont prêts à agir de nouveau. Je tiens à préciser néanmoins que le Front des Forces Socialistes n'avait pas l'intention d'attenter à la vie de Ben Bella ; vous comprenez bien qu'il s'y serait pris autrement. D'ailleurs à en juger par la sympathie dont bénéficie le Front des Forces Socialistes, jusque dans les milieux très proches du Gouvernement, par l'absence de conviction chez les serviteurs du régime, nous sommes persuadés que Ben Bella sera liquidé par ses propres collaborateurs.

QUESTION. — M. Aït Ahmed, je m'excu­se de revenir sur la forme que prendra le regroupement des opposants, mais depuis que l'on parle de MM. Hassani, Boudiaf et Khicler, nous aimerions savoir comment le F.F.S. entend s'unir avec eux ?

REPONSE. — Le Front des Forces Socia­listes n'a d'exclusive à l'égard de personne. Le F.F.S. postule le retour à la légitimité popu­laire, le droit suprême du peuple algérien de choisir ses dirigeants et ses institutions.

Le Front des Forces Socialistes est la réplique profonde de nos masses à la dictature et au régime policier. Il est pour la liberté, il est pour les élections libres, pour la multi­plicité des candidatures, même si cette oppo­sition se met d'accord sur une liste unique. De plus, le militant du F.F.S., qu'il soit en France ou en Algérie. ne permettra pas à ses diri­geants provisoires de l'engager définitivement pour une formule ou pour une autre. C'est en cela que le F.F.S. constitue l'opposé du



[1] Combattants morts au maquis

[2] Cette conférence n'était en réalité qu'une auto-interview, M. Aït Ahmed n'ayant répondu qu'aux questions qu'il s'était lui-même posées.

[3] Je précise que cette Djemâa nationale n'existait que dans l'imagination de M. Aït Ahmed.

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